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L’origine des Turcs de Turquie: l’ombre des conquis grecs et arméniens.

A titre préliminaire, précisons que le texte qui suit n’a pas pour objet de heurter l’identité de quiconque. L’identité d’un peuple n’est pas déterminée par son origine biologique ou la « pureté » de son sang (comme si le « sang mêlé » pouvait être impur…) mais par sa culture et par la perception qu’il en a; par le lien intime qu’il entretient avec elle.

9789601425634On dit que l’histoire est écrite par les vainqueurs.

Elle est en tout cas plus souvent écrite par les conquérants (ou ceux qui s’en réclament), que par les conquis ; par les envahisseurs (ou ceux qui s’en réclament), plutôt que par les populations envahies. On oublie souvent le rôle joué par les peuples conquis dans la culture des empires, mais aussi, dans la composition de leur population…

A ce sujet, l’écrivain turc Ahmet Altan a jeté un pavé dans la mare dans un article intitulé « Ascendance », paru dans les colonnes du journal turc « Taraf », le 28 novembre 2012.

Ahmet Altan ironise sur la version officielle de l’histoire turque, selon laquelle les Turcs de Turquie viendraient des conquérants turcs d’Asie centrale, qui ont envahi ce que nous appelons aujourd’hui la Turquie à la fin du 11ème siècle de notre ère. « Combien de Turcs sont venus en Anatolie avec Alp Arslan ? » s’interroge-t-il. Et d’énumérer les populations qui vivaient alors en Anatolie avant l’arrivée des conquérants turcs: Grecs (« Rumların »*), Arméniens, Kurdes. « Comment se fait-il alors que nos « ancêtres » soient seulement les Turcs et les musulmans? », poursuit-il.

Selon l’écrivain turc, les Turcs devraient donc revoir leur perception de leurs origines, de leur histoire et de leur culture.

Il ne s’agit pas d’une élucubration de romancier.

Selon une étude publiée dans le American Journal of Physical Anthropology, les Turcs d’Anatolie (partie asiatique de la Turquie) n’ont que 13% de gênes originaires des populations venues d’Asie centrale – American Journal of Physical Anthropology, Volume 136, Issue 1, pages 11–18, May 2008, Ceren Caner Berkman, Havva Dinc, Ceran Sekeryapan, Inci Togan.

Selon cette étude, les langues des régions que nous nommons « la Turquie » (qui étaient surtout le grec et l’arménien) furent graduellement remplacées par le turc après l’invasion de l’Anatolie par les groupes nomades turcs originaires d’Asie centrale.

Selon cette analyse les Turcs de Turquie ne viennent donc pas, majoritairement, des conquérants turcs, mais au contraire, des populations chrétiennes soumises, ou du moins, d’une partie importante de ces populations, celle qui s’est ralliée au conquérant turc, et qui a adopté sa langue et sa religion jusqu’à oublier son identité grecque, arménienne et chrétienne. Entre le 11ème siècle et le 16ème siècle, l’Anatolie passera, de majoritairement grécophone, arménophone et chrétienne, à majoritairement turcophone et musulmane.

Jusqu’à présent, le grand public amateur d’histoire avait seulement entendu parler des jeunes esclaves chrétiens de 7 à 20 ans (Grecs, Slaves, Albanais notamment), enlevés à leurs parents, convertis de force à l’islam (et fournissant en hommes soumis et dévoués l’armée des janissaires et l’administration ottomane); ou de certaines populations de grécophones musulmans qui vivaient en Grèce; ou encore de l’interdiction de l’apostasie sous l’empire ottoman, c’est à dire l’interdiction pour un musulman de se convertir au christianisme sous peine de mort, ce qui empêchait que les populations turco-musulmanes issues de l’envahisseur n’intègrent les communautés chrétiennes.

Mais le phénomène massif d’islamisation-turcisation des groupes ethno-linguistiques chrétiens, grecs et arméniens d’Anatolie (Turquie d’Asie) qui s’est déroulé sur cinq siècles, est plus rarement évoqué.

Il faut rappeler qu’en 1071 après Jésus-Christ, les Turcs seldjoukides originaires d’Asie centrale (entre l’Amou-Daria et le Syr-Daria, aux confins de l’Ouzbekistan et du Kazakhstzan, où la langue turque se parle encore comme dans toute l’Asie centrale, jusqu’à l’Ouest de la Chine)  remportent la bataille de Menzikert et amorcent l’installation des Turcs dans la région.

Les vainqueurs ont écrit que les ancêtres des Turcs de Turquie seraient ces guerriers fiers et dominateurs qui via les Turcs seldjoukides, puis l’Empire ottoman, se sont progressivement emparés de l’Empire byzantin. Malgré les bouleversements entraînés par ces invasions (exode de populations, bouleversement linguistique), les choses ne se seraient donc pas tout à fait produites ainsi…

Le phénomène historique de turcisation-islamisation de ces populations est complexe et provoque un regain d’intérêt en Grèce.

De nombreux ouvrages mentionnent cette problématique, le plus souvent sur le plan local (sur les Grecs du Pont notamment). Une étude particulièrement remarquée est celle de Frangoulis Frankos, diplômé d’histoire mais aussi ancien chef d’état-major de l’armée grecque. Paru en 2012, son livre intitulé « Quelle Turquie, quels Turcs ? » (« Ποια Τουρκία, ποιοι Τούρκοι; »), se présente sous la forme d’un ensemble touffu de notes renvoyant à quantité de sources (sa bibliographie constitue un vrai trésor pour tout intéressé).

Nous y reviendrons peut-être en complétant ce billet dans une seconde partie et en abordant la question du processus de conquête, du statut des populations restées chrétiennes (le statut de « zhimmi » en turc, de l’arabe « dhimmi ») et des crypto-chrétiens (les « chrétiens cachés ») dont l’existence fut révélée après les réformes ottomanes de la deuxième partie du 19ème siècle, avant d’être à nouveau étouffée.

En Turquie aussi, cette question suscite l’intérêt de certains intellectuels. A ce propos, le film « Yüregine sor » du réalisateur turc Yusuf Kurçenli aborde justement le thème des turco-musulmans d’origine grecque et chrétienne sous l’angle du crypto-christianisme. Le réalisateur décédé en 2012 était justement originaire du Pont (nord est de la Turquie), une région où le phénomène crypto-chrétien fut le plus largement révélé; la presse turque présentait ce film comme la plus autobiographique de ses oeuvres

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* note sur le terme « Rumların » utilisé en turc dans l’article de  Ahmet Altan pour désigner les Grecs:

Avant l’arrivée des Turcs, la région que nous appelons aujourd’hui la Turquie d’Asie faisait principalement partie de l’Empire romain d’Orient (que nous appelons à tort « l’Empire byzantin » alors que les « Byzantins » ne se sont jamais appelés ainsi).

Y vivaient alors, des populations dont la langue maternelle était surtout le grec, l’arménien, le kurde et même, au sud, l’araméen (pour l’essentiel, les populations grecques vivant en Asie mineure étaient les descendants de populations égéennes et méditerranéennes, à savoir de populations de langue grecque présentes depuis l’antiquité – Ioniens, Doriens, Eoliens – et d’autres populations locales parlant le plus souvent une langue indo-européenne tels les Phrygiens et les Cariens, qui progressivement avaient  totalement fusionné avec l’élément grec, absorbées dès l’antiquité).

En plus de la langue propre à chaque population de l’Empire byzantin et des dialectes grecs locaux parlés par les populations grecques, une forme plus élaborée de grec servait de langue administrative commune, et une forme de grec standardisé servait de langue vernaculaire aux différents  groupes ethno-linguistiques qui conservaient néanmoins leur langue d’origine (dialectes locaux grecs, arméniens, néo-araméen et autres); le christianisme orthodoxe y était majoritaire, et la plupart des populations qui s’y rattachaient y étaient désignées sous le terme de « Romains » y compris les Grecs.  En effet leur nom « d’Hellènes » était alors rejeté par les cercles ecclésiastiques: ceux-ci faisaient une lecture littérale voire « radicale » de certains textes judéo-chrétiens où le terme « Hellène » était assimilé au terme « païen »ce qui en marginalisa l’usage jusqu’au 19ème siècle. Dans ce contexte « Romain » ne signifie pas « latin » mais désigne ceux que nous appelons les « Byzantins. » En France, au Moyen Age, les « Byzantins » étaient désignés sous le terme « Grecs. »

En turc, le terme Grec/Hellène est traduit par « Yunan » tandis que le terme « Romain », dans le contexte de « l’Empire byzantin », est traduit par « Rum » et est encore souvent utilisé.

Cependant les Turcs ont tendance à réserver l’usage du terme « Rum » aux Grecs, et pas aux autres populations héritières de « l’Empire byzantin » (les Arméniens par exemple).

On peut observer que les Grecs, sont le seul peuple à réunir, encore aujourd’hui, toutes les caractéristiques culturelles du monde « byzantin » c’est à dire à la fois la langue, la foi, l’architecture et l’esthétique de l’Empire romain d’Orient, là où d’autres peuples qui ont fait partie de cet empire s’en différencient, qui par l’esthétique propre qu’ils ont développée (cf l’architecture arménienne ou georgienne), qui par la langue (Bulgares, Arméniens, Georgiens, Albanais) qui par la foi (la majorité des Albanais sont musulmans pour leur plus grande part après avoir adopté la foi du conquérant turc).

Revendications territoriales turques contre l’Union européenne

Pressions du gouvernement turc sur une Grèce affaiblie, ou propagande nationaliste pour un usage interne à la Turquie?

Toujours est-il que le 25 mars 2015, devant le Parlement turc, le ministre turc de la défense a remis en cause la souveraineté grecque sur plusieurs îles et ilots de la mer Egée, faisant référence à un total de seize îles :

« La Grèce n’a que de facto, et temporairement » le contrôle sur ces îles et cela « n’invalide pas le fait que ces îles sont le territoire de la République de Turquie » a-t-il affirmé en réponse à une question parlementaire d’un député du parti Justice et développement (AKP, islamo-conservateurs).

L’information est relayée par la presse turque.

Des revendications territoriales dirigées contre la Grèce, état membre de l’Union européenne, ne sont-elles pas des revendications territoriales contre l’Union européenne, contre la grande patrie commune aux peuples de l’Union européenne?

Dans son édition anglophone, le journal turc Zaman, tout en reconnaissant que le ministre turc « remet en cause le statut international des îles », procède par une inversion accusatoire digne de la Pravda aux heures les plus glorieuses de la propagande soviétique en titrant : « Le ministre de la défense turc rejette les revendications territoriales grecques sur des îles de la mer Egée. »

A l’heure où l’Europe se dit inquiète de la montée en puissance de la Russie et du conflit en Ukraine, les Européens vont-ils enfin prendre au sérieux les préoccupations grecques en matière de défense?

La position géographique de la Grèce l’expose à des menaces. Et aucun gouvernement sérieux ne peut prendre ces menaces à la légère, quand bien même la Turquie et la Grèce sont des membres de l’OTAN (le changement d’attitude de la République de Turquie à l’égard d’Israël depuis l’arrivée au pouvoir des islamo-conservateurs montre que tout est toujours possible et que tout gouvernement doit prendre au sérieux les questions de défense et de sécurité dans cette région).

Peut-être l’Union européenne comprendra-t-elle, comme l’a dit le ministre grec Varoufakis dans une interview à Charlie Hebdo, que pour que la Grèce diminue ses dépenses en matière de défense, il faut que l’Europe comprenne que les frontières de la Grèce sont aussi les frontières de l’Union européenne.

Autre source, le journal turc Milliyet.

Les arguments du Parlement européen contre la Troïka et les politiques passées en Grèce

La presse a fait grand bruit du fait que le gouvernement d’Alexis Tsipras mis au pouvoir par les urnes en janvier 2015 ne voulait pas de la Troïka – les représentants de la Banque centrale européenne, de l’Union européenne et du Fonds monétaire international auprès desquels les précédents gouvernements grecs devaient rendre des comptes.

Le 13 mars 2014 le Parlement européen a adopté une résolution « sur le rapport d’enquête sur le rôle et les activités de la troïka (BCE, Commission et FMI) dans les pays sous programme de la zone euro (2013/2277(INI)) .»

Cette résolution est truffée d’arguments contre la Troïka.

Le Parlement européen :

« 66.  demande, tout d’abord, l’application de règles de procédure précises, transparentes et contraignantes aux relations entre les institutions membres de la troïka et à la répartition des fonctions et des responsabilités au sein de celle-ci; est fermement convaincu de la nécessité de définir et de répartir clairement les tâches afin de renforcer la transparence ainsi que de permettre un meilleur contrôle démocratique de la troïka et de renforcer la crédibilité de son travail;

67.  demande l’élaboration d’une stratégie de communication améliorée pour les programmes d’assistance financière actuels ou futurs; tient à ce que cette préoccupation se voie accorder la plus haute priorité, dans la mesure où l’inaction dans ce domaine finira par nuire à l’image de l’Union;

68.  demande que soit analysés dans la transparence l’octroi de contrats à des consultants externes, l’absence d’appels d’offres publics, le niveau très élevé des rémunérations versées et les éventuels conflits d’intérêts; »

En bref : opacité, règles de fonctionnement imprécises. L’arbitraire n’est pas loin et le contrôle démocratique de la Troïka, absent.

Autre argument en faveur des mesures humanitaires rendues nécessaires, selon le nouveau gouvernement grec, par la politique d’austérité, le Parlement européen :

« 69.  rappelle que la position adoptée par le Parlement sur le règlement (UE) n° 472/2013 impliquait l’instauration de dispositions exigeant que les programmes d’ajustement macroéconomique comportent des plans d’urgence en cas de non-réalisation des scénarios de référence prévus et en cas de glissement causé par des circonstances échappant au contrôle de l’État membre bénéficiant d’une assistance, par exemple en cas de choc économique international inattendu; souligne que de tels plans sont une condition indispensable de toute politique prudente étant donné la fragilité et le manque de fiabilité des modèles économiques qui sous-tendent les prévisions des programmes, comme on a pu le constater dans tous les États membres faisant l’objet de programmes d’assistance; »

Et sur la nécessité de revoir la politique de la dette, le Parlement européen :

« 72.  demande à la troïka de procéder d’urgence à de nouvelles évaluations de la viabilité de la dette afin de répondre à la nécessité de réduire la charge de la dette publique grecque ainsi que les substantielles sorties de capitaux que connaît la Grèce, qui contribuent grandement au cercle vicieux caractérisant la dépression économique actuelle dans ce pays; rappelle qu’il existe, hormis l’application d’une décote au capital des obligations, plusieurs possibilités de restructuration de la dette, comme l’échange d’obligations, l’extension des échéances de maturité des obligations ou encore la réduction des coupons; estime qu’il convient d’examiner attentivement les diverses possibilités de restructuration de la dette; »

L’argumentaire du gouvernement grec actuel est très proche de celui-ci.

Outre la légitimité démocratique dont il bénéficie suite à son élection, le gouvernement grec peut rappeler que le Parlement européen, lui aussi issu des urnes, a déjà largement mis en doute la politique suivie jusqu’alors.

Mieux connaître les ministres grecs.

Kotzias et Varoufakis : des ministres qui écrivent.

Dans un précédent billet je titrais « Du gauchisme au patriotisme de gauche: la métamorphose de Syriza? »

kotziasCe que j’ignorais c’était que l’une des figures du gouvernement Syriza venait justement de signer un livre intitulé « Le patriotisme et la gauche » paru en décembre 2014.

Et pas n’importe qui. Nikos Kotzias, devenu ministre des affaires étrangères du premier gouvernement Syriza.

Le livre de cet universitaire développe une vision démocratique et sociale du patriotisme, qu’il oppose au nationalisme d’extrême droite. Néanmoins, l’alliance de Syriza avec les Grecs indépendants prend un autre sens.

Pour comprendre le nouveau gouvernement grec il peut paraître important de lire :

« Le patriotisme et la gauche » de Nikos Kotzias paru uniquement en grec, et dont les lecteurs grécophones pourront avoir un aperçu sur son site

– mais aussi pour la politique économique : « Le Minotaure planétaire: L’ogre américain, la désunion européenne et le chaos mondial » de Yanis Varoufakis, actuel ministre des Finances grec, paru en français dans sa plus récente édition où il prédit que l’économie américaine jouera encore un rôle hégémonique.

Minotaure_planétaireCeci, outre sa « Modeste Proposition pour résoudre la crise de la zone euro » co-rédigée avec Stuart Holland  en 2012, et ses nombreuses conférences disponibles sur Youtube.

Rarement la pensée d’un ministre grec aura été si largement accessible à l’extérieur du pays.

Le choix du gouvernement Tsipras semble donc clairement d’écarter les éléments les plus extrêmes et les moins réalistes de Syriza au profit de francs-tireurs qui tentent de manier la synthèse et le compromis, tout en restant fermes sur un certain nombre de positions.

Reste à voir quelle sera sa politique migratoire : réaliste et ferme, ou idéaliste et naïve. Les premières déclarations d’Alexis Tsipras au Parlement grec semblent aller vers l’idéalisme, et il faudra être attentif aux détails de la nouvelle loi sur la naturalisation des enfants de migrants. Celle-ci peut avoir un impact direct sur les autres pays européens, si le message envoyé aux passeurs et trafiquants de chair humaine est que la Grèce, porte d’entrée de l’Union européenne, est le nouvel Eldorado juridique des migrants.

A notre connaissance, Syriza n’a jamais pensé la question migratoire autrement qu’en suivant deux axes : les droits de l’homme et l’idée que la question de l’immigration en Grèce doit être partagée avec les partenaires européens. Le Greek bashing s’est nourri de l’idée que les autres Européens devaient payer pour les erreurs des Grecs en matière économique; espérons que Syriza ne donnera pas prétexte à l’alimenter par l’idée qu’ils devront aussi payer pour la « générosité » grecque en matière migratoire.

Greek bashing

Bravo à Jean Quatremer, spécialiste du Greek bashing et qui aura réussi un miracle.

Transformer un Syriza-sceptique comme votre serviteur en défenseur d’Alexis Tsipras.

Dans un article de son blog où il évoque la question des dommages de guerre réclamés à l’Allemagne, Jean Quatremer vise Alexis Tsipras, le nouveau premier ministre grec, qui selon lui ne trouve «rien de mieux, pour expliquer les difficultés de son pays, que de pointer  la responsabilité d’une Allemagne forcément héritière du régime nazi. »

M. Quatremer, comme j’ai la chance de lire le grec j’ai cherché partout où M. Tsipras aurait  expliqué que  les difficultés actuelles  de la Grèce viendraient du non paiement des dommages de guerre par l’Allemagne. Et je n’ai rien trouvé.

Mais il est vrai que les journalistes ne sont pas contraints de citer leurs sources…

Rappelons aussi qu’il n’est pas uniquement question des dommages de guerre, mais du prêt forcé que l’Allemagne a contraint la Grèce (alors dirigée par un gouvernement de collaboration fantoche) à lui accorder pendant la deuxième guerre mondiale, de la re-évaluation de ce prêt en euros et du calcul de ses intérêts – voir notre billet de 2011 « Pétition pour le remboursement du prêt forcé : déjà 72.000 signatures. »

Les prêts actuellement en cours  contractés par la Grèce devraient courir au moins jusqu’en 2050. De nos jours il est courant de voir des prêts immobiliers privés courir sur 25 ou 30 ans. A l’échelle des états il n’y a donc rien d’extraordinaire à évoquer le prêt allemand contracté il y a 70 ans.

Rappelons que la France et la Russie n’ont réglé la question des emprunts russes qu’en 1997 et que  pour les Français, «  l’accord franco-russe signé le 27 mai 1997 a eu pour effet la renonciation mutuelle des réclamations respectives des gouvernements français et russe. Néanmoins, il n’a pas pour autant éteint les droits de créance des ressortissants français sur le gouvernement russe. La situation n’est donc pas figée ».

Donc oui, tant qu’il  n’est pas réglé d’une façon ou d’une autre, un tel litige peut bien durer 50, 70, 90 ans ou plus, tant qu’aucun accord définitif n’est trouvé. Et personne ne peut forcer la Grèce à renoncer au prêt consenti à l’Allemagne.

Alexis Tsipras a raison de pointer du doigt l’Allemagne. D’abord parce que l’Allemagne est un pays leader de l’Union européenne. Ensuite parce que c’est l’un des pays dont l’opinion publique pratique le plus le Greek bashing, alors que l’Allemagne n’a cessé de faire défaut au cours du XXème siècle aux dépens parfois des Grecs (Allemands vertueux et Grecs intempérants?).

Enfin parce qu’il est bien possible que juridiquement l’Allemagne soit bien redevable envers la Grèce de ce prêt.

Mais l’article de Jean Quatremer ne s’arrête pas là.

Le ministre de la défense grec s’est-il rendu sur l’ilôt grec d’Imia pour réaffirmer la souveraineté grecque sur ce territoire grec ? Sacrilège! Pour M. Quatremer c’est un comportement agressif que la Turquie a raison de réprouver.

M. Quatremer revient aussi sur le litige entre la Grèce et l’ex République de Macédoine.

En présentant à chaque fois, un seul son de cloche. Rien sur le nationalisme passéiste du gouvernement actuel de Skopje.

1
Le premier ministre de l’ancienne République yougoslave de Macédoine (FYROM/ARYM), membre du parti nationaliste VRMO, déposant une gerbe sur la tombe du leader nationaliste Goce Delcev, sous une carte de la « Grande Macédoine slave » incluant la ville grecque de Thessalonique. Sur la question : https://europegrece.wordpress.com/2011/12/10/petit-debat-sur-notre-blog/ et https://europegrece.wordpress.com/2012/02/09/aide-militaire-de-la-grece-a-la-fyrom-2001-2002/
naziskopje
La même carte, présentée par des Habitants slaves de Skopje accueillant les nazis lors de la 2nde guerre mondiale, brandissant un portait de Hitler et du roi Boris de Bulgarie (photographie diffusée par le journal grec Apogevmatini du 15 mars 2008)

Rien sur le nationalisme turc et l’impérialisme néo-ottoman (pas de tous les turcs comme le prouvent d’ailleurs certains commentaires laissés par des visiteurs turcs sur ce blog) – lire à ce propos : Comment la Turquie est passée du «zéro problème» à zéro ami?, Etonnant : la Turquie a-t-elle des prétentions territoriales en Grèce?, « Allumer le feu! » : paranoïa grecque ou réalité?.

Au fait, exploiter les hydrocarbures sous sa zone économique exclusive en mer Egée ou en Méditerranée orientale pourrait permettre à la Grèce de payer ses créanciers. C’est en tout cas une option à ne pas exclure.

La réaffirmation de la souveraineté grecque sur certaines îles est donc cruciale (lire dans les archives du blog : Mainmise de la Turquie sur le pétrole grec : l’heure de vérité). N’en parlez par au Dr Quatremer, son diagnostic est clair : un petit pays qui redresse la tête et défend ses intérêts est forcément atteint d’hystérie xénophobe et nationaliste.

Il existe un parti grec dont les cadres me donnent parfois l’impression de tenir un discours assez proche de M. Quatremer. A les entendre il faudrait re-éduquer les Grecs du tout au tout. Ce parti c’est « to potami » créé par un présentateur de télévision. Manque de chance, Syriza s’est allié aux Grecs indépendants.

Et comme M. Quatremer reprend les caricatures qui représentent les Grecs en cigales, invitons-le à consulter la réponse de Varoufakis à ce type de raccourcis simplistes :

Quoi de (vraiment) neuf sous le soleil grec?

Pas d’article depuis mai 2014 sur « Europe Grèce. »

Par peur de se répéter.

Les jeunes Grecs continuent de quitter le pays – on en croise de plus en plus à l’étranger, et leurs histoires sont un peu toujours les mêmes.

Cela résume tout en soi, il n’est pas besoin d’en dire plus.

A l’Est rien de nouveau.

Mon respect aux plus démunis qui font le choix de rester malgré tout, même quand ils auraient la possibilité de partir.

N’en déplaise à un certain discours, quitter ses racines est une douleur que certains veulent s’éviter à tout prix.

« Europe Grèce » continue de recevoir des visiteurs malgré l’absence de publications récentes. L’un des articles les plus consultés ne concerne pas directement les Grecs, mais les Turcs, et leurs origines.

Les Grecs d’Ukraine

Selon la Présidente de la fédération des associations grecques d’Ukraine, les Grecs d’Ukraine seraient inquiets en raison de la volonté des mouvements nationalistes ukrainiens (Pravy Sektor et Svoboda) de remettre en cause la loi en vigueur sur l’emploi des langues minoritaires, jusque là reconnues.

Nous n’allons pas nous étendre sur la problématique posée par cette législation dont nous n’avons pas une connaissance approfondie.

Mais c’est une occasion de rappeler la présence grecque en Ukraine, et de rappeler que les Grecs d’Ukraine ne sont pas des immigrés.

La présence grecque en Ukraine remonte à l’Antiquité, bien avant qu’il ne soit question d’Ukraine, de la Rus’ de Kiev, ou des Tatars dans la région, et fut confortée au Moyen Âge et à l’époque moderne.

pontosIl faut en effet comprendre que pendant des millénaires, les rives de la mer noire appelée en grec « Pont Euxin », étaient peuplées de Grecs, notamment en Crimée ainsi qu’au nord de l’Anatolie, le berceau des « Grecs pontiques. » Les échanges et les installations de populations grecques furent toujours réguliers entre cette région, et les autres régions du monde grec, tout au long de l’histoire et en tout cas, jusqu’à ce que  se produisent deux événements majeurs du 20ème siècle : la création de l’URSS et l’éradication des Grecs pontiques chrétiens d’Anatolie par les Turcs à compter de 1919.

Les populations grecques étaient essentiellement installées en Crimée, jusqu’aux années 1770/1780 où Catherine II les fit s’installer plus à l’est, vers Donetsk au nord de la mer d’Azov. Aujourd’hui elles sont réparties en plusieurs points de l’actuel territoire ukrainien, mais surtout dans les régions de Marioupol, Odessa, Donetsk, Kharkiv, et Kiev.

Victimes d’exactions après la révolution bolchévique, pour leur faire payer l’intervention de la Grèce auprès des « Russes blancs » en 1919, puis déportés par Staline qui s’en méfiait comme agents possibles de l’étranger, les Grecs d’Ukraine ne seraient plus officiellement qu’entre 91.000 et 93.000  et dénombrent 11 députés grecs au Parlement ukrainien ainsi que 48 villages grecs; mais certaines sources parlent de 150.000 personnes, tandis que les Grecs d’Ukraine vous diront que les Ukrainiens d’ascendance grecque seraient encore bien plus nombreux, en comptant ceux qui sont issus de  nombreux mariages mixtes.

A lire également pour les curieux :

– un article du Washigton Post de 2012 sur les Grecs d’Ukraine

– pour les hellénophones, le dossier consacré aux Grecs d’Ukraine par l’agence de presse ANA-MPA (« Agence de presse athénienne-Agence de presse macédonienne ») et divers reportages disponibles sur Youtube : ΟΜΟΓΕΝΕΙΑ: ‘Ελληνες της Ουκρανίας  – Ταξιδεύοντας με τον Τέρενς Κουίκ – Ουκρανία

– en français, un article approfondi sur les Grecs de la région de Marioupol, insistant notamment sur la perte progressive de leur identité linguistique au contact des populations voisines : http://remi.revues.org/379 « Les Grecs de Mariupol (Ukraine). Réflexions sur une identité en diaspora – Kira Kaurinkoski » in « Revue européenne des migrations internationales »

Saint Valentin repose en Grèce!

 L'église où repose une partie des reliques de Saint Valentin, à Athènes. Source de la photo : http://photosarchitektou.blogspot.fr
L’église où repose une partie des reliques de Saint Valentin, à Athènes. Source de la photo : http://photosarchitektou.blogspot.fr

Les reliques de Saint Valentin* reposent en Grèce.

Elles sont pour partie conservées à Athènes, en l’église catholique italienne de San Francesco e Santa Chiara, au 7 rue Guilfordou face à la Place Victoria.

Une autre partie de ces reliques se trouve provisoirement à Chios depuis plusieurs années, et doit regagner l’église catholique de Lesbos, actuellement en cours de restauration, où elles étaient conservées auparavant; le transfert devrait avoir lieu en mai 2014. L’église catholique  de Lesbos dépend du diocèse catholique romain de Chios.

Après vérification il semble qu’il existe un autre « Saint Valentin » dans le calendrier de l’Eglise orthodoxe, célébré le 27 octobre. Le « Saint Valentin » célébré le 14 février et dont les reliques sont donc conservées en Grèce, semble être uniquement reconnu par l’Eglise catholique romaine. Mais les amoureux grecs célèbrent aussi la Saint Valentin le 14 février.

balePar ailleurs une petite minorité de Catholiques romains existe au sein de la population grecque, fruit notamment, de l’occupation vénitienne de certaines îles.

Source Lesvos news

Pour une série d’articles (en grec) sur la restauration de l’église catholique de Lesbos : http://www.emprosnet.gr/tags/katholikos-naos

* Ou de l’un des nombreux saints du nom de Valentin, pour être précis.

La moitié des foyers grecs survit grâce à la retraite de grand-père et grand-mère…

Selon une étude de la société MARC, sortie en janvier 2014 et réalisée sur 1201 foyers pour le compte de la « Confédération générale des professionnels, artisans et commerçants de Grèce »:

– une famille grecque sur deux survit grâce aux retraites de proches;

– quatre familles sur dix (40,2%) comptent au moins un chômeur;

– et parmi ces chômeurs seuls 9,8% percevraient une allocation chômage.

 

Source: journal Imerisia

Réflexions sur la dette. Allemagne, 1953. Grèce, 2013.

20 décembre 2013.

Sur l’estrade du Parlement grec, Byron Polydoras débite son discours. Celui-ci lui vaudra d’être radié de la Nouvelle Démocratie, le parti au pouvoir, dans les heures qui suivront. Il le sait.

Il explique pourquoi il votera « non » au projet de nouvelle taxe foncière, « l’impôt commun sur la propriété des biens immobiliers » qui, selon lui, s’ajoutera à 40 impôts et taxes diverses déjà applicables aux propriétaires immobiliers grecs. Il en critique la base d’imposition forfaitaire.

Indépendamment du bien fondé de cet impôt, nul n’ignore que beaucoup de Grecs ne pourront pas payer le nouvel « impôt commun sur la propriété des biens immobiliers », compte tenu de la récession massive et des nouveaux impôts votés depuis 2009, depuis les plans d’austérité.

Cette taxe entraînera immanquablement, si elle est appliquée, une avalanche de saisies au profit du Trésor public grec et donc, des créanciers de la Grèce, pour combler le trou sans fond de l’impayable dette grecque. Saisies totalement inutiles, donc, mais destructrices.

Polydoras soutient que les plans d’austérité signés par les gouvernements grecs sont le produit de la menace.

Polydoras évoque l’urgence de la situation humanitaire et l’impossibilité dans laquelle se trouvent les Grecs de payer.

Il rappelle l’accord de Londres de 1953 http://www.admin.ch/ch/f/rs/i9/0.946.291.364.fr.pdf (qui allégeait considérablement la dette allemande et en repoussait le paiement complet à la réunification alors très hypothétique du pays).

De fait, on ne peut s’empêcher de s’interroger : est-il juste d’avoir eu plus d’indulgence pour l’Allemagne de l’après-guerre, qui avait saigné l’Europe à blanc, que pour la Grèce, dont le crime est d’avoir été, certes, fort mal gérée?

Nous renvoyons à l’excellent article d’Eric Toussaint publié à ce sujet, sur le site du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde le 28 février 2013.

Cette taxe frappera le village accueillant des ancêtres, où le chômeur grec a cru pouvoir trouver refuge avec ses enfants, pour cultiver ses patates et élever ses poules, et ne pas finir clochardisé sur les trottoirs athéniens.

Cette taxe frappera le lieu de vie de centaines de milliers de Grecs, mais aussi le lien qui unit le Grec urbanisé du 21ème siècle, vivant encore à Athènes ou Thessalonique, au caillou pelé de la mer Egée où il a ses racines, encore quelques terrains à chèvres où poussent les herbes folles, ou au sévère village de montagne. Que valent ces biens? Rien pour les créanciers de la Grèce tant la dette est colossale. Tout pour les Grecs.

Pourquoi insister sur Byron Polydoras alors que d’autres discours se sont succédés, contre cet impôt, au sein des partis plus radicaux, ou extrémistes?

Le cas de Polydoras est inquiétant car il est symptomatique du démantèlement des partis modérés.

La promesse d’un siège au parlement ne suffit plus.

La crainte de devoir répondre, un jour, de ces impôts écrasants devant le peuple, devient plus forte que le confort de l’appartenance aux partis de gouvernement.

La vision comptable et technocratique des représentants de la « Troïka » est étouffante.

Le poids de la dette publique grecque, écrase les ménages via les impôts confiscatoires et les baisses de salaires. Ce qui du reste, tel un cercle vicieux, encourage davantage la fraude fiscale.

Les autres pays européens doivent comprendre qu’en prenant les Grecs à la gorge, ils discréditent les partis modérés au pouvoir, les disloquent.

Et favorisent les extrêmes des deux bords.

La dette grecque ne sera jamais payée, malgré les accords passés. Il est temps de le comprendre.

Elle ne fait que détruire le pays, chasser ses cerveaux, pousser ses jeunes à l’émigration.

La Grèce a fauté, n’aurait jamais du rentrer dans l’euro, n’a pas pris au sérieux la question de la dette. Certes. Mais ce n’est pas un crime contre l’humanité. Le peuple grec a assez payé.

Avant l’accord de Londres, des usines allemandes avaient été démantelées,  le peuple allemand humilié. Puis on a compris que cela ne pouvait plus durer. Qu’il fallait laisser vivre les Allemands et ne pas les réduire en esclavage.

Pour la Grèce aussi, il est temps de tirer les conséquences du désastre.

Rappels :

 Article du Spiegel sur l’Allemagne et la Grèce

Allemands vertueux et Grecs intempérants?

Pétition pour le remboursement du prêt forcé

Les « Phalangistes » grecs: retour sur la Grèce de Métaxas.

Le symbole de l'EON: la double-hache crétoise.
Le symbole de l’EON: la double-hache crétoise.

A l’heure où certains évoquent le « retour aux années 1930 » qui frapperait les pays en crise, peu d’observateurs reviennent sur ce qu’elles furent pour la Grèce.

Nous avons choisi de le faire, sous le prisme peu connu des « Phalangistes » grecs.

Le terme « Phalangistes » désignait les membres des bataillons (« tagmata ») de « l’EON », « l’Organisation nationale de jeunesse »  du « Régime du 4 août » du Dictateur Métaxas, créée en 1936 et dissoute en avril 1941.

La Grèce de Métaxas demeurait officiellement une monarchie, mais son premier ministre s’était fait attribuer les pleins pouvoirs par décret royal, le 4 août 1936, sur fond d’agitation communiste et syndicale, et d’instabilité politique (aux élections de 1936 qui se déroulèrent à la proportionnelle intégrale, les deux principaux partis de gouvernement venaient de totaliser chacun 143 et 141 sièges au Parlement, mais se montraient incapables de former un gouvernement stable et de faire face à la crise économique et sociale frappant le pays, tandis que les communistes obtenaient 15 sièges).

Métaxas salué par des Phalangistes de l'EON.
Des membres de l’EON effectuant le salut phalangiste. Au centre, Métaxas.

Métaxas écrira dans son « journal » (« Ημερολόγιο » page 553) :

« Le 4 août la Grèce est devenue un Etat anticommuniste, un Etat antiparlementaire, un Etat totalitaire. Un Etat dont la base est agricole et travailleuse et donc, un Etat anti-ploutocratique. Il n’y avait pas, bien-sûr, de parti particulier pour gouverner. Mais le parti était le peuple tout entier, à l’exception des incorrigibles communistes et des réactionnaires des anciens partis. »

Le principe de gouvernement de Métaxas n’était donc pas fondé sur l’idée d’un parti  unique de masse, contrairement aux régimes de Mussolini ou de Hitler, mais sur l’absence pure et simple de parti politique.

« L’EON » était la seule véritable organisation de masse, destinée à « former » idéologiquement la jeunesse, et à la préparer à la guerre d’un point de vue physique et mental.

L'homme de la photo, bras tendu, ne fait pas partie des jeunesses hitlériennes, ni de l'Opera Nazionale Balilla (les jeunesses fascistes italiennes, de Mussolini, à ne pas confondre avec les pâtes Barilla). C'est un membre de l'EON, "l'Organisation grecque de jeunesse" mise en place par le "Régime du 4 août" du dictateur Métaxas. Ce même Métaxas et, après son décès le 29 janvier 1941, son fidèle successeur Koryzis, combattront contre l'Italie fasciste, puis contre l'Allemagne nazie.
L’homme de la photo, bras tendu, ne fait pas partie des jeunesses hitlériennes, ni de l’Opera Nazionale Balilla (les jeunesses fascistes italiennes, de Mussolini, à ne pas confondre avec les pâtes Barilla). C’est un membre de l’EON, « l’Organisation nationale de jeunesse » mise en place par le « Régime du 4 août » du dictateur Métaxas, effectuant la salut des Phalangistes. L’esthétique du régime rappelle celle des autres régimes autoritaires des années 1930. Mais ce même Métaxas et, après son décès le 29 janvier 1941, son fidèle successeur Koryzis, combattront contre l’Italie fasciste, puis contre l’Allemagne nazie, en raison des revendications territoriales des puissances de l’Axe et de leurs alliés bulgares visant la Grèce.

Les spécialistes s’opposent sur la question de savoir si le Régime du 4 août était un « simple » régime autoritaire (dictatorial) influencé par l’esthétique fascisante des années 1930, ou un régime véritablement fasciste. Ce n’est pas une spécificité grecque. Les mêmes interrogations se posent, par exemple, pour l’Espagne de Franco. Nous n’entrerons pas dans ce débat complexe de spécialistes, qui a trait à la définition même, difficile et changeante, du fascisme.

L’idéologie de Métaxas empruntait à certaines idéologies à la mode en les accommodant « à la sauce grecque. » Cela le rendait proche, notamment, du régime du dictateur portugais Salazar.

Dans ses « Cahiers de réflexion », voici ce que Métaxas n’hésitait pas à écrire contre la démocratie parlementaire, au nom de la défense du peuple contre le « capitalisme »:

« La Démocratie est l’enfant unique et pur du capitalisme, et son organe qui impose sa volonté en la faisant passer pour volonté populaire.
(…) Le capitalisme, pour accumuler des capitaux entre les mains qui le représentent et transformer tout le monde en ses esclaves – mais des esclaves qui se croiront libres – a besoin de la liberté de l’économie, et que l’intervention de l’état dans l’économie de la société soit limitée. Et s’il a tout de même besoin d’une petite intervention de temps à autres, il faut encore que la machine de l’état se trouve entre ses mains pour que l’intervention soit le moins étendue possible, qu’elle soit toujours à son avantage.
Les états où domine l’économie dirigée, quand bien même seraient-ils démocratiques – nous entendons par là, ceux qui recherchent le véritable intérêt général du peuple – ne sont pas de l’intérêt du capitalisme. Car dans ces pays l’exploitation de l’ensemble du peuple par les représentants du capitalisme n’est pas possible. Encore moins quand ces états sont totalitaires. Car là le capitalisme ne peut pas avoir la presse entre ses mains, ni diriger l’opinion publique dans son intérêt, ni renverser ce qui n’est pas de son intérêt avec des manoeuvres de partis, ni devenir maître de la machine étatique avec des élections. »

Métaxas lors d'un rassemblement de Phalangistes.
Métaxas lors d’un rassemblement de Phalangistes.

Contre ce régime, l’histoire retiendra : la censure, le contrôle (étatisation) du mouvement syndical,  l’anticommunisme radical, les méthodes autoritaires à l’encontre des opposants (législation autorisant l’arrestation et l’exil des opposants, notamment communistes, usage répandu de la violence à l’encontre des suspects, cas de meurtres déguisés en suicide), la politique culturelle simpliste et monolithique, visant notamment à effacer les accents orientaux (perçus systématiquement, à tort, comme turcs) de la culture des réfugiés grecs d’Asie mineure. A son crédit : mesures sociales (parfois élaborées par de précédents gouvernements mais mises en place par Métaxas), efforts d’industrialisation, politique de paix avec la Turquie (soulevant l’indignation silencieuse des réfugiés grecs d’Asie mineure, comme lorsqu’il baptisera « rue Atatürk » la rue de Thessalonique où se situe la maison présumée de Mustafa Kemal), absence de lois raciales à l’allemande, préparation militaire efficace du pays en vue de l’invasion germano-italienne (malgré des moyens limités).

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Couverture du magazine « I neolaia ».

Pour qui voudrait en savoir plus, nous invitons nos lecteurs hellénophones, à consulter le magazine « I Néolaia » (Η Νεολαία / « La Jeunesse »), la revue de l’EON, qui mieux que n’importe quel analyste permet de comprendre directement l’esprit que le régime tentait d’insuffler à la jeunesse grecque. Les lecteurs francophones pourront en consulter les photographies, assez parlantes (après avoir cliqué sur chaque couverture): http://ioannismetaxas.gr/Periodiko_Neolaia.html  (archives mises en ligne par une descendante de Métaxas).

Les valeurs économiques et sociales défendues par le régime de Métaxas au travers du magazine « Néolaia » pourraient être définies comme celles de la petite bourgeoisie grecque de l’époque. Un article de « Néolaia » sur les « Sokols » (mouvement de jeunesse slave, nationaliste et sportif, né en terre tchèque et qui s’est répandu dans de nombreux pays slaves) trahit certaines sources d’inspiration du régime. Pour le reste, des extraits de l’Antigone de Sophocle côtoient les conseils ménagers pour les jeunes filles et les textes sur la guerre d’indépendance grecque… L’ensemble est assez hétéroclite.

Eléments féminins de l'EON.
Eléments féminins de l’EON.

Le politologue grec Georges Contogeorgis, auteur d’une complexe mais excellente « Histoire de la Grèce« , estime cependant que Métaxas ne put jamais mettre en oeuvre dans sa totalité l’idéologie du régime. Forcé de composer avec le Roi, il manquait également de méchanismes de contrôle idéologique des masses, à l’exception de l’EON.

Les paradoxes du régime du 4 août

A priori, l’attitude du régime du 4 août pendant la deuxième guerre mondiale peut paraître paradoxale.

Le 28 octobre 1940, Métaxas, reçoit l’ambassadeur de l’Italie fasciste. Celui-ci est venu lui demander d’ouvrir les frontières grecques à l’armée italienne.

La réponse de Métaxas est toujours célébrée aujourd’hui : « Alors, c’est la guerre » (en français dans le texte, la langue des vieux diplomates de l’époque).

Ce fut le « Non » de la Grèce à l’Italie de Mussolini, toujours commémoré, tous les 28 octobre, deuxième fête nationale de la Grèce avec celle du 25 mars.

Pourquoi ce « Non » du Régime du 4 août à l’Italie fasciste puis à l’Allemagne nazie ?

La Grèce de Métaxas n’avait pas vraiment le choix.

Les alliés de l’Allemagne, Italie et Bulgarie, avaient des revendications territoriales sur le nord de la Grèce et sur certaines îles.

Dans un entretien à la presse grecque, peu après l’ultimatum italien, Métaxas expliquait qu’il avait tout fait pour éviter la guerre, qu’il estimait que l’Allemagne la perdrait, que les contreparties territoriales demandées par les puissances de l’Axe à la Grèce en échange de la paix étaient insupportables, et qu’il fallait donc livrer la guerre, aux côtés du Royaume-Uni.

Les rivalités entre nations et les intérêts géopolitiques s’affrontaient au-delà de la théorie et de l’idéologie.

Le 28 octobre 1940, ce n’est donc pas l’affrontement entre la Grèce et l’idéologie fasciste italienne, mais l’affrontement plus classique entre un pays agresseur et un pays agressé, deux pays aux idéologies nationalistes en apparence assez proches (si l’on excepte l’impérialisme colonial italien, qui n’avait rien d’équivalent dans la Grèce de Métaxas), mais en réalité adversaires.

Soldats grecs dans les montages du nord de la Grèce.
Soldats grecs dans les montagnes du nord de la Grèce.

Malgré les importants succès de l’armée grecque face à l’armée italienne, la Grèce ne parviendra pas à stopper les forces allemandes, venues à la rescousse des Italiens. La Grèce avait combattu presque seule. Le Royaume-Uni, trop occupé en Afrique du Nord, n’apportera d’abord qu’une aide symbolique, via l’envoi de quelques unités de la Royal Air Force en novembre 1940, soit après les premiers succès de l’armée grecque contre l’armée italienne. Le 17 novembre 1940, Métaxas proposera aux britanniques de mener  une opération terrestre conjointe depuis le sud de l’Albanie. Les Britanniques refuseront et ne proposeront que l’envoi d’un nombre limité d’unités terrestres, ce que les Grecs rejetteront au motif qu’elles seraient trop peu nombreuses pour être d’une quelconque utilité, et que cela ne ferait au contraire qu’accélérer l’intervention allemande.  Après l’apparition des troupes allemandes en Roumanie et la mobilisation de l’armée bulgare en vue de l’attaque allemande contre la Grèce, les Britanniques accepteront finalement d’envoyer 62.000 hommes  (notamment Britanniques, Australiens et Néo-Zélandais), entre le 2 mars et le 24 avril 1941, trop tard et trop peu pour stopper l’attaque allemande qui avait débuté le 6 avril, face à une armée grecque tout de même  affaiblie par l’invasion italienne.

Le sacrifice des soldats de l’armée grecque ne permettra pas d’empêcher l’occupation du pays, après le succès de l’attaque allemande. Le successeur de Métaxas se suicidera. Ce sera la fin du « Régime du 4 août » et de l’EON. Les Allemands se répartiront le territoire grec avec leurs alliés italiens et bulgares, en créant trois zones d’occupation (allemande, italienne, bulgare). Les méthodes les plus brutales seront le fait des Allemands et des Bulgares, mais les Italiens ne seront pas toujours en reste, employant notamment la torture pour arracher des aveux aux résistants arrêtés.

Enfants grecs souffrant de la faim. Deuxième guerre mondiale;
Enfants grecs souffrant de la faim. Deuxième guerre mondiale.

On estime que 300.000 Grecs sont morts de faim sous les privations, en raison notamment des réquisitions allemandes, dans ce que les Grecs nomment « la Grande Famine » (ο μεγάλος λιμός). La communauté juive de Thessalonique sera exterminée par l’occupant allemand.

Dès 1944, la guerre civile succédera à ce terrible épisode de l’histoire grecque, exacerbant plus que jamais la haine entre communistes et anti-communistes, y compris entre anciens résistants.

La pauvreté tue.

Les images de l’enterrement de Sarah, 13 ans.
http://youtu.be/zqpob7bjfrU

Sarah était serbe et vivait à Thessalonique avec sa mère, au chômage. Elles se préparaient à retourner en Serbie, en raison de la dégradation de leurs conditions de vie en Grèce.

Elle est morte le 1er décembre 2013,  dans son sommeil, en raison des émanations de fumée provoquées par le feu que sa mère avait allumé pour résister aux températures hivernales.

Elles ne pouvaient pas utiliser de chauffage électrique. L’électricité leur avait été coupée depuis trois mois, faute de paiement des factures. Par fierté, la mère n’avait pas demandé d’aide.

Ce genre de drames se multiplie dans les colonnes des journaux grecs. Les Grecs sont souvent contraints de trouver de nouveaux modes de chauffage, qu’ils ne maîtrisent pas toujours.

Les gardes forestiers grecs redoublent de vigilance car les abattages illégaux d’arbres se multiplient.

L’oeuvre de particuliers qui cherchent du bois pour leur propre consommation, ou de groupes organisés qui s’y livrent de façon massive pour revendre le bois de chauffage, en raison de l’augmentation de la demande.

Les importations de bois se sont multipliées, en provenance de divers pays d’Europe de l’est.

Il faut aussi rappeler que les suicides ont augmenté de près de 50% par rapport aux années de l’avant-crise.

Rumeur : l’article 458 A veut-il pénaliser la dissidence à l’ONU et à l’UE?

Une rumeur se propage sur internet : le gouvernement grec serait en train de faire voter « l’article 458 A » pour pénaliser toute opinion contraire aux décisions de l’Union européenne ou de l’Organisation des nations unies.

C’est le journaliste Giorgos Délastik qui a, parmi les premiers, dénoncé ce projet, relayé par la blogosphère, grecque puis française.

Cependant, quand on lit le texte du projet plutôt que de s’en tenir à son titre, il semble bien qu’il ne vise que la violation des embargos et des mesures restrictives décidées par l’Union européenne et l’ONU, et non l’expression d’une simple opinion.

Voici le texte complet du projet grec, sur le site du parlement:*

«Après l’article 458 du code pénal est ajouté un 458A intitulé « Violations de décisions du Conseil de sécurité de l’ONU et de règlements de l’Union européenne », ainsi qu’il suit:
«Toute personne qui viole intentionnellement des sanctions ou mesures restrictives instituées à l’encontre d’États ou entités, organismes ou personnes physiques ou morales, par des décisions du Conseil de sécurité de l’ONU, ou des règlements de l’UE est passible d’au moins 6 mois d’emprisonnement, sauf si autre disposition prévoit une peine plus lourde . Les dispositions de l’alinéa précédent s’appliquent également lorsque les actes qui y sont prévus ne sont pas punissables en vertu des lois du pays où ils sont perpétrés ». (Source: Parlement grec – le lien ne fonctionne plus; nouveau lien vers le fichier pdf du texte, toujours sur le site du Parlement grec, voir page 9: http://www.hellenicparliament.gr/UserFiles/bbb19498-1ec8-431f-82e6-023bb91713a9/8230034.pdf )

Pour, encore une fois, essayer de prendre du recul nous avons recherché si de tels projets existaient en France.

Et nous avons trouvé :

« PROJET DE LOI ADOPTÉ PAR LE SÉNAT,

relatif à la violation des embargos et autres mesures restrictives. »

Visible ici : http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/projets/pl0732.pdf

Extrait du projet français :

« – 3 –

Article 1 er

Le titre III du livre IV du code pénal est complété par un chapitre VII ainsi rédigé :

« CHAPITRE VII

« De la violation des embargos et autres mesures restrictives

(…)

« II. – Le fait de ne pas respecter un embargo ou une mesure restrictive est puni d’une peine de sept ans d’emprisonnement et de 750 000 € d’amende.

« Toutefois, la peine d’amende peut être fixée au double de la somme sur laquelle a porté l’infraction.

« La tentative des infractions prévues au présent article est punie des mêmes peines.

« III. – L’abrogation, la suspension ou l’expiration d’un embargo ou d’une mesure restrictive ne fait pas obstacle à la poursuite et au jugement des infractions commises lorsque ces mesures étaient en vigueur, ni à l’exécution de la peine prononcée. »

Des rapports ont été établis au Sénat dès 2007.

Le débat reste ouvert mais il ne semble pas que le projet de loi grec soit fondamentalement différent.

Quand on cherche, on trouve.

En tout cas l’affaire de l’article 458 A est encore un exemple d’informations diffusées à la va-vite pour « faire le buzz » sur Internet, avec plus ou moins de succès ; quitte à ne mettre en perspective ou à ne vérifier qu’après, dans le meilleur des cas.

 

* Le projet en grec pour les hellénophones qui voudraient procéder d’eux-mêmes à la traduction :

3. Μετά το άρθρο 458 Π.Κ. προστίθεται άρθρο 458Α Π.Κ. με τίτλο «Παραβάσεις αποφάσεων του Συμβουλίου Ασφαλείας του ΟΠΕ. και κανονισμών της ΕΕ.» , που έχει ως ακολούθως

«Όποιος με πρόθεση παραβιάζει κυρώσεις ή περιοριστικά μέτρα, που έχουν επιβληθεί σε βάρος κρατών ή οντοτήτων ή οργανισμών ή φυσικών ή νομικών προσώπων, με αποφάσεις του Συμβουλίου Ασφαλείας του ΟΗΕ. ή με κανονισμούς της ΕΕ. τιμωρείται με φυλάκιση τουλάχιστον εξι μηνών, εκτός αν από άλλη διάταξη προβλέπεται βαρύτερη ποινή. Οι διατάξεις του προηγούμενου εδαφίου εφαρμόζονται και όταν οι προβλεπόμενες σε αυτό πράξεις δεν είναι αξιόποινες, κατά τους νόμους της χώρας στην οποία τελέστηκαν».

 

Source Parlement grec

(le lien ne fonctionne plus; nouveau lien vers le fichier pdf du texte, toujours sur le site du Parlement grec, voir page 9: http://www.hellenicparliament.gr/UserFiles/bbb19498-1ec8-431f-82e6-023bb91713a9/8230034.pdf )

La fin de l’industrie lourde grecque?

elvoComment redresser la Grèce et la rendre indépendante des aides européennes, sans encourager la production industrielle locale?

Les dernières industries lourdes de Grèce sont menacées de disparition.

Après avoir rejeté les projets de réforme qui devaient mener à leur privatisation,  la Troïka (Commission européenne, Fonds monétaire international, Banque centrale européenne) vient en effet de demander la liquidation de deux sociétés d’armement liées au secteur public, sans indemnisation des salariés  (les sociétés EAS et ELVO) outre celle de la société minière LARKO, qui satisfaisait il y a peu jusqu’à 6% de la demande européenne en nickel.

La société ELVO (« ΕΛΛΗΝΙΚΗ ΒΙΟΜΗΧΑΝΙΑ ΟΧΗΜΑΤΩΝ » ou « industrie grecque de véhicules ») est une entreprise historique spécialisée dans les véhicules militaires mais aussi les autobus, ambulances, véhicules de lutte anti-incendie, etc. Créée en 1972, à l’origine filiale de la société autrichienne Steyr, puis devenue entreprise publique et partiellement privatisée en 2000, elle est actuellement gérée par l’état grec depuis la démission du groupe privé « MYTILINAIOS A.E. » qui la détenait à 43%.

La presse grecque et les salariés contestent les estimations avancées par la Troïka concernant les besoins financiers de l’entreprise, et estiment que les perspectives de la société (les commandes en cours notamment) ne sont pas prises en compte.

D’autres sociétés grecques purement privées tentent de se maintenir dans le secteur de la défense, affichant parfois de francs succès (comme la société ELMON  dont on trouve d’ailleurs certains produits sur le marché français).

La disparition d’ELVO aurait cependant de graves conséquences; car si la société a besoin d’être réformée et souffre sans doute de certains défauts de gestion, elle reste d’une grande importance pour la Grèce du point de vue stratégique (c’est la seule entreprise grecque à même d’entretenir certaines types de véhicules militaires notamment), mais aussi du point de vue de l’emploi : elle fait partie des quelques entreprises capables de maintenir en Grèce certains savoir-faire de pointe, et d’absorber ainsi scientifiques et techniciens grecs (trop souvent contraints de s’exiler à l’étranger).

La politique de la Troïka est clairement de « liquider » les actifs grecs pour payer les créanciers; et non d’assurer l’avenir.

Istanbul, nuit du 6 au 7 septembre 1955. In memoriam.

Pogrom.
Istanbul, 1955. L’avenue Istiklal ancienne « Grande rue de Péra », bien connue des touristes et qui comptait de nombreux Grecs, entièrement pillée;
Une dame de la bourgeoisie turque d’Istanbul se joignant à la foule.
Scènes du film turc « Güz Sancisi », qui a donné pour la première fois au public turc un aperçu – très édulcoré, mais qui a l’immense mérite d’exister – du pogrom d’Istanbul.

Dans la nuit du 6 au 7 septembre 1955, une foule organisée composée d’hommes venus d’Anatolie et de turcs stambouliotes se dirige vers les habitations et les commerces grecs marqués à la peinture, les dévastant, tuant plus de 20 personnes, et violant des centaines de personnes; des cas de circoncision forcée seront également rapportés.

Le premier ministre turc de l’époque, Menderes, sera plus tard pendu pour autre chose, après le coup d’état militaire de 1960, pour violation de la constitution; le pogrom sera évoqué lors de son procès ce qui permet aux historiens d’avoir certaines informations précieuses sur son organisation; il sera réhabilité sous le président Ozal le 17 septembre 1990, qui le fera enterrer dans un mausolée; le pogrom peut être considéré comme l’oeuvre de ce que les Turcs nomment « l’état profond », impliquant différents cercles issus des forces de l’ordre et des milieux nationalistes.

L’ouvrage le plus complet paru sur le pogrom d’Istanbul est celui de l’historien Speros Vryonis, en anglais, intitulé « The Mechanism of Catastrophe: The Turkish Pogrom Of September 6-7, 1955, And The Destruction Of The Greek Community Of Istanbul ».

Pour une comparaison entre la minorité grecque d’Istanbul et la minorité musulmane de Thrace grecque : Thrace grecque : un monde à l’envers (comparatif entre la minorité grecque d’Istanbul et la minorité musulmane de Thrace – Pomaques, Tziganes, Turcs).

Certains auront remarqué que le blog s’intéressait beaucoup aux relations gréco-turques dernièrement.
Mais ces questions, souvent méconnues, ont un impact important y compris sur le plan économique (dépenses militaires).
Elles sont donc au coeur de l’avenir de la Grèce, et de l’Europe, qui doit s’y intéresser et peser de tout son poids pour les résoudre (sans forcément parler d’adhésion de la Turquie) plutôt que de reprocher aux Grecs, par exemple,  le format de leur armée.
En Turquie un écart de plus en plus important semble se créer, entre d’une part la politique dominatrice ou néo-ottomane de certaines élites, et d’autre part, certains intellectuels et artistes qui veulent tourner la page de la confrontation gréco-turque (comme le montrent par exemple le film « Güz Sancisi », ou encore le film « Yüregine sor« )  ou qui évoquent volontiers les lointaines origines gréco-arméniennes des Turcs de Turquie, dans un souci d’apaisement.
Actuellement la Grèce est menacée de « finlandisation »; on peut se demander si elle ne va pas, à terme, se transformer en satellite de la Turquie, succombant au « soft power » économique de son voisin (si la croissance de ce dernier se poursuit). Ceci impacte les questions de souveraineté, notamment la question de l’irrédentisme qui frappe la Thrace grecque et certaines îles grecques. D’où l’intérêt de remettre certaines choses en perspective.

En Grèce, la protection du logement remise en cause.

BKS.0333610Une mesure sociale qui sauvegarde le logement des foyers grecs, peu connue du grand public dans le reste de l’Europe, risque d’être remise en cause à la demande de la Troïka.

Depuis 2010, la législation grecque prévoit d’empêcher les ventes forcées (aux enchères publiques) de certains biens immobiliers par les créanciers des personnes se trouvant dans l’impossibilité totale de faire face à leur dette, et notamment du bien immobilier constituant le logement principal.

Cette mesure a été reconduite d’année en année. L’interdiction est normalement en vigueur jusqu’au 21 décembre 2013. Les Grecs espéraient qu’elle serait reconduite pour 2014, comme elle l’a été les années précédentes.

Il s’agissait d’éviter que sous les effets des mesures d’austérité, les familles grecques de la classe moyenne ainsi que les familles modestes ou les personnes âgées des campagnes, souvent propriétaires de leur habitation, ne se retrouvent sans possibilité de se loger.

Cette mesure ne concernait que les personnes de bonne foi.

En cet été 2013, le gouvernement grec a laissé filtrer que la mesure serait remise en cause, au moins partiellement.

En réalité, par la force des choses, de nombreuses familles grecques ont d’ores et déjà été contraintes de mettre en vente, souvent en vain, leur bien immobilier pour faire face à leurs dettes, dans le contexte de chômage massif et de baisse du revenu net moyen qui frappe la Grèce.

Dans la mesure où la classe moyenne grecque est en voie de disparition, les Grecs se demandent quels seront les critères qui permettront la vente forcée de leur foyer.

Les citoyens grecs attendent donc avec angoisse de savoir si la Grèce va connaître une explosion du phénomène des personnes sans domicile fixe, déjà beaucoup plus nombreuses que par le passé, et si des milliers de familles vont se retrouver sans toît. Ce qui signifierait aussi, la désertification de certains villages, un creusement de l’effondrement du marché immoblier par l’afflux massif de nouveaux logements à la vente, et sans doute de nouveaux exils économiques vers l’étranger…

Attaques planifiées contre la Grèce dans les plans « Balyoz » et « Suga »

enteteLa justice turque s’est prononcée, le 5 août 2013, sur le cas de 275 officiers turcs kémalistes, et non des moindres (généraux, amiraux et autres officiers supérieurs, dont l’ancien chef d’état major turc Ilker Basbug) accusés d’avoir préparé une série de plans visant au renversement du premier ministre islamo-conservateur turc Recep Tayip Erdogan.

Parmi les accusations figurait le fait d’avoir prévu dans ces plans, diverses opérations militaires contre la Grèce, afin d’établir la loi martiale qui aurait permis à l’armée de prendre la main sur le premier ministre turc et à terme, de le renverser.

Pour plus de détails il est intéressant de se reporter à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), le 19 février 2013 dans l’affaire « Cem Aziz Çakmak contre Turquie. »

Cem Aziz Çakmak, amiral de la flotte turque, avait saisi la Cour européenne des droits de l’homme pour se plaindre de sa détention provisoire au cours de l’instruction de l’affaire.

En rappelant l’historique du dossier, la Cour donne des précisions intéressantes sur les accusations officielles formulée par la Parquet turc et dévoile le contenu de ces plans.

Voici quelques extraits de l’arrêt, qui peut être librement consulté sur Internet.

«  « L’affaire Balyoz »

3.  Par un acte d’accusation du 6 juillet 2010, le parquet d’Istanbul ouvrit une enquête pénale contre 196 membres présumés d’une organisation criminelle dénommée Balyoz (« la masse », en français, ou sledgehammer, en anglais), tous des généraux ou des officiers des forces armées. Il leur était reproché de s’être livrés, en 2002 et 2003, à la planification d’un coup d’Etat militaire visant au renversement par la force du gouvernement élu, acte réprimé par l’article 147 de l’ancien code pénal en vigueur à l’époque des faits.

10.  La deuxième étape du plan d’opérations Balyoz aurait principalement consisté à planifier des actions de provocation susceptibles de générer dans l’opinion publique une atmosphère d’insécurité et un sentiment d’hostilité envers le gouvernement, et d’ouvrir ainsi la voie à un coup d’Etat militaire. 11.  Toujours selon le parquet d’Istanbul, le groupe Balyoz avait élaboré, pour atteindre le but énoncé dans la deuxième étape, des plans d’action annexes. L’un des ces plans d’action, Oraj (« orage »), élaboré par İ.F., général d’armée des forces aériennes et commandant des académies militaires, aurait, d’une part, visé à créer des tensions entre les forces aériennes grecques et turques et à provoquer des accrochages entre des avions de guerre au-dessus de la mer Egée. Ces escarmouches devraient se solder par la chute d’un avion militaire turc et conduire à une dégradation de l’image du gouvernement. Le plan Oraj aurait, d’autre part, élaboré un scénario d’attaques, par des groupes islamistes fondamentalistes, de casernes des forces aériennes et du musée de l’armée de l’air, et ce pour aboutir à la prise de contrôle des rues par les forces militaires au prétexte de menaces intégristes. Le plan Oraj aurait également envisagé de soumettre les autorités civiles à des actions d’intimidation, telles que le survol par des avions militaires du Parlement turc si ce dernier refusait de décréter la loi martiale, et d’apporter aux forces terrestres de Balyoz le soutien des avions bombardiers en cas de résistance à l’intervention militaire projetée.

12.  Le parquet d’Istanbul se référait aussi aux documents concernant un autre plan d’action, dénommé Suga (« belle poupée »), qui aurait été élaboré par l’amiral Ö.Ö., commandant de la flotte de guerre, et qui aurait été prévu pour être exécuté principalement par les forces navales lors de la deuxième étape de l’opération Balyoz. Le plan Suga aurait projeté de mettre les forces navales à contribution pour créer des tensions avec la Grèce à propos des îles, des îlots et des rochers de la mer Egée dont l’appartenance était un sujet de conflit entre la Grèce et la Turquie. Il aurait eu pour objectif ultime une mobilisation partielle en Turquie, susceptible de favoriser l’instauration de la loi martiale. Il aurait planifié dans le détail les actions et les opérations à accomplir et les aurait attribuées une par une aux amiraux et aux officiers des forces navales dont les noms figuraient sur une liste dédiée au plan Suga. Les actions prévues auraient visé, entre autres, à provoquer des petits accrochages avec les forces navales grecques dans des zones de conflit de la mer Egée, à sensibiliser l’opinion publique turque sur ces questions de souveraineté et à préparer un ultimatum en la matière destiné au gouvernement grec. »

Ceci pour rappeler que l’environnement géo-politique de la Grèce n’est pas celui des autres pays européens de taille comparable (Portugal, Belgique, Pays-Bas), ce qui crée un certain nombre de spécificités, dans le domaine de la défense notamment.

Voir aussi : https://europegrece.wordpress.com/2012/02/24/etonnant-la-turquie-a-t-elle-des-pretentions-territoriales-en-grece/

Un point de vue grec sur la crise turque.

defence-artComme nous l’avons déjà écrit, de nombreux Grecs ont soutenu les manifestants turcs de la place Taksim.

Pour équilibrer les choses, nous vous proposons un autre point de vue*, celui de l’analyste grec Georgios Philis, qui pointe sur la longue durée, le rapport aux Grecs des « kémalistes » et des « néo-ottomans.»

Il s’agit d’un article paru le 10 juin 2013 sur le site internet de la revue Στρατιωτική Ισορροπία & Γεωπολιτική (« Equilibre militaire et géopolique »), adapté et commenté par « Europe Grèce » avec l’autorisation de l’auteur et des éditions Aegis Publishing.

Sans prétendre à l’exhaustivité, nous avons essayé d’annoter abondamment l’article, dans ou sous le texte, pour le rendre accessible au plus grand nombre.

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« Erdogan ou les kémalistes : où est notre intérêt ? » (1)

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Au pays du lumineux oranger [expression grecque intraduisible, tirée de façon ironique d’un poème d’Angélos Vlachos, désignant la Grèce comme un pays dont la situation a été enjolivée de façon pompeuse, et dont les problèmes sont, de ce fait, traités avec trop de légéreté – NDT], où les concepts et les mots ont perdu leur véritable sens depuis longtemps, certains, après avoir encensé Recep Tayyip Erdogan, ont ravalé leur langue quand le dirigeant « réformateur » s’est soudainement transformé en « Sultan » réprimant tout ce qui était démocratique, et se préparant à conduire le pays vers l’époque d’Abdülhamid II [sultan ottoman, 1842-1918 – NDT].

Par Georgios Κ. Philis, Docteur en relations internationales et géopolitique. (2)

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Depuis cet espace d’information, cela fait trois ans que nos amis lecteurs sont tenus informés de façon complète de l’œuvre « pieuse » accomplie dans le pays voisin par les panislamistes/néo-ottomans d’Ahmet Davutoglu, et des dangers qui pèsent, de leur fait, sur l’Hellénisme. (3)

Naturellement, nous ne devons jamais oublier qu’au fond, les néo-ottomans essaient de prendre les pleins pouvoirs des mains des Jeunes-Turcs/kémalistes qui, depuis 1923, opprimaient les peuples d’Asie Mineure avec leur délire nationaliste de type occidental.

De façon toujours légitime, d’aucuns poseront la question : parmi les deux, au final, est-il de notre intérêt que soient au pouvoir les Jeunes-Turcs/kémalistes ou les néo-ottomans/panislamistes? La réponse est simple, désarmante et malheureusement très inconfortable, spécialement pour notre système politique en voie d’effondrement, qui se complaît toujours, concernant l’élite dirigeante de la Turquie, à présenter un « bon côté » et un « mauvais côté ».

Cette course à la puissance absolue, il n’est pas de notre intérêt que l’un ou l’autre la remporte. « Pourquoi? » sera la question suivante. Parce qu’il s’agit de deux idéologies totalitaires, l’une nationaliste et l’autre impériale, aux yeux desquelles les Grecs n’ont qu’un seul rôle, celui du RAYA [sujet soumis de l’époque ottomane, ici l’auteur vise spécifiquement les zhimmis/dhimmis – NDT] et du SOUMIS. C’est à dire que ce n’est pas un conflit entre démocratie et autoritarisme, mais un conflit entre deux régimes tout aussi totalitaires l’un que l’autre (4).

A ce stade où les « stratèges » de notre pays (les experts des chaînes de télévision) nous parleront des « démocrates », qui essayent de secouer le joug d’Erdogan, il serait bon que le citoyen grec qui les écoute se souvienne de la chose suivante :

Oui, effectivement, il y a des démocrates qui voudraient une démocratie « normale » en Turquie, MAIS soit le « chapeautage » de la « révolution » se fera par les kémalistes qui interviendront par la force soit, au final ce sont les néo-ottomans qui l’emporteront, avec pour résultat que, dans un cas comme dans l’autre, les véritables démocrates du pays voisin se « tairont » et qu’un régime totalitaire sera assis.

Pour consolider son pouvoir ce régime, surtout s’il s’agit des kémalistes, essaiera désespérément de trouver un « danger extérieur » pour confirmer son pouvoir à l’intérieur du pays.

A l’observation selon laquelle « les généraux sont maintenant contrôlés par Erdogan, » la réponse est simple, au-delà du fait qu’il s’agit d’un processus en cours: dans une armée, au-delà des généraux, il y a toujours aussi… les colonels; jusqu’à quel point sommes-nous certains qu’ils sont tous islamistes ?

Enfin, n’oublions pas que pour le cas où les idéologies « totalitaires » ne l’emporteraient pas, et où par miracle, le pays s’orienterait vers une véritable démocratie, cela signifierait automatiquement sa dissolution, puisque les diverses identités ethniques et religieuses demanderaient au mieux, l’autodétermination et/ou l’indépendance, avec pour résultat que la Turquie deviendrait, au mieux, pour elle-même et naturellement pour nous, une sorte de confédération qui éliminerait tout nationalisme totalitaire et / ou toute idéologie impérialiste.

D’autre part, la question de savoir dans quelle mesure il est probable que les islamistes, les «Loups Gris » [nationalistes turcs – NDT], les néo-ottomans et les kémalistes laissent le pouvoir aux… écologistes verts qui reconnaîtraient les Kurdes en tant que groupe ethnique indépendant, et les alévis en tant que religion non-musulmane (5), est plutôt une question rhétorique.

En bref, l’intérêt pour notre pays, au fond, n’est pas lié à la question de savoir si, et jusqu’à quel point, la Turquie va se «démocratiser», mais quel régime totalitaire va survivre au final et si, dans certaines circonstances, il se trouvera quelqu’un, chez notre voisin, pour considérer comme intelligente l’idée de mettre en œuvre une solution type « Balyoz » (6) pour faire face à sa faiblesse intérieure via une extériorisation de la crise.

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Notes complémentaire du traducteur:

(1) Titre original :

« Ερντογάν ή Κεμαλικοί: Ποιος μας συμφέρει να υπερισχύσει; » (mot à mot: « Erdogan ou les kémalistes, il est de notre intérêt que lequel l’emporte? ») (NDT)

(2) Georgios Philis:

Georges K. Philis enseigne à l’American College of Greece (DEREE), au sein du département « Entreprises internationales et Affaires européennes » (International Business & European Affairs Department), où il dispense des cours dans les domaines des politiques européennes et des questions économiques ainsi que des entreprises internationales (direction, gestion de l’innovation, technologie et investissement notamment). Georges Philis est également analyste au sein de « l’Institut d’analyses Sécurité & Défense » (Institute of Security & Defence Analysis), ainsi qu’au sein de l’organisme international de conseil aux entreprises « wikistrat ». Il est le rédacteur en chef et directeur d’Aegis Publishing, qui gère également le site d’information « www.defence point.gr ».

Georges Philis est titulaire d’un doctorat en relations internationales et analyse géopolitique (PhD) de l’Université de Durham au Royaume-Uni. Sa thèse de doctorat était consacrée à l’analyse systémique des relations entre la Grèce et la Turquie, la Russie et l’Occident via l’approche géopolitique, avec un accent particulier mis sur la sécurité énergétique en Méditerranée orientale. Il est titulaire d’un diplôme de troisième cycle en relations internationales (M.Α. In International Relations) de la même université, et d’un diplôme en économie de l’American College of Greece.

En plus des articles publiés, analyses et opinions dans la presse écrite et électronique, grecque et internationale, Georges Philis publiera prochainement sa thèse de doctorat ainsi qu’un autre essai sur la question de l’identité de l’Empire ottoman et de la Turquie moderne. Ses intérêts académiques se concentrent sur la théorie géopolitique, sur l’analyse méthodologique et pratique en matière de sécurité géoéconomique et énergétique, sur l’entrepreneuriat international, sur  l’évolution de l’Eurasie et bien sûr les menées en Russie, en Turquie et en Méditerranée orientale.

(3) Sur le terme « Hellénisme » :

En France, le terme « d’hellénisme » est le plus souvent utilisé pour désigner la culture grecque de l’antiquité; en Grèce, en plus de désigner la « grécité culturelle» l’Hellénisme désigne également de façon globale le monde grec, les Grecs et les communautés grecques de par le monde (Grèce, Chypre, diaspora grecque). (NDT)

(4) « Deux idéologies totalitaires »

Nous avons demandé à Georgios Philis s’il pouvait préciser en quoi le néo-ottomanisme et le kémalisme seraient susceptibles de constituer une forme de totalitarisme aujourd’hui (en dehors de la façon dont ces deux idéologies perçoivent les relations gréco-turques).

Georgios Philis nous a renvoyé à l’un de ses précédents articles, où il explique de façon plus détaillée le choc frontal entre ces deux courants, et la façon dont chacun tente d’imposer sa réponse idéologique à la question des identités, et au choc démographique que va constituer, pour l’avenir, la surnatalité des Kurdes (qui représentent un jeune de moins de 25 ans sur quatre).

Il s’agit d’un article passionnant, beaucoup plus détaillé que celui-ci mais aussi extrêmement long, et que nous n’avons pas le temps de traduire pour l’instant.

Les lecteurs hellénophones le trouveront ici: http://www.newsbomb.gr/opinions/story/313753/to-tromahtiko-dilimma-toy-erntogan-aytokratoria-i-dialysi

(5) Sur l’alévisme :

L’auteur veut dire ici, qu’il est peu probable que les alévis soient reconnus en tant que tels en Turquie.

L’alévisme n’est pas officiellement reconnu en Turquie par le ministère des affaires religieuses, qui ne reconnaît et ne finance que l’islam sunnite.

Un citoyen turc alévi du nom de Sinan Işik, a même saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’une action tendant à l’inscription de la mention « alévi» sur sa carte d’identité turque au lieu de la mention « islam. » Les juridictions turques avaient rejeté ses demandes, au motif, selon elles, « que le terme « alévi », qui désigne un sous-groupe au sein de l’islam, ne pouvait être considéré comme une religion indépendante ou une branche (« mezhep ») de l’islam. » Cette affaire a donné lieu à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, (CEDH, 2 février 2010, Sinan Işik c. Turquie).

La « trinité alévie » comprend Mahomet, et l’alévisme est souvent considéré comme une branche de l’islam chiite (l’une des autres composantes de la trinité alévie étant Ali, cousin de Mahomet, qui occupe une place importante dans le chiisme).

D’autres considèrent l’alévisme comme une mystique ou une « philosophie » antérieure à l’islam, influencée par le zoroastrisme, mais ayant progressivement, pour diverses raisons, intégré Mahomet et Ali en même temps que des influences chrétiennes.

À noter que les alévis ne pratiquent aucun des cinq piliers de l’islam. Pour certains, dire que les alévis sont musulmans serait comme dire que les musulmans sont chrétiens, au motif que l’islam fait référence à Jésus et Marie.

D’autres encore considèrent l’alévisme comme une religion synchrétique panthéiste à part, insistant sur le Hâkk (Dieu, la vérité divine), la branche principale de la trinité alévie.

Dans tous les cas, ce culte mystique et tolérant (ils boivent de l’alcool et leurs femmes ne se voilent pas) qui représenterait, selon les estimations, entre 15% et 25% de la population turque a joué un grand rôle dans la culture ottomane (musique, poésie).

L’alévisme était présent au sein d’une partie des populations musulmanes vivant en Grèce sous l’Empire ottoman. Pour l’anecdote, même certains Jeunes-Turcs (y compris d’ailleurs parmi ceux qui avaient déçu les espoirs de tolérance mis en eux, en se tournant finalement vers le nationalisme turc intégral et le panturquisme, tel Talaat Pacha), étaient béktachis, un ordre religieux souvent considéré comme proche des alévis – aujourd’hui peu de gens font la différence entre les deux.

Dans le contexte d’aujourd’hui, le culte tolérant et synchrétique des alévis est souvent bien vu pas les Grecs, qui discernent de nombreux points communs entre l’alévisme et la mystique chrétienne orthodoxe, et pour qui les alévis représentent un espoir de bonne entente avec les Turcs.

Récemment, Recep Tayyip Erdogan a choisi de donner au troisième pont d’Istanbul le nom du Sultan ottoman Yavuz Sélim, persécuteur des Alévis. (NDT)

 (6) « Plan Balyoz » ( ou « marteau de forge »):

Sous Erdogan, de nombreux officiers supérieurs turcs ont été jugés et emprisonnés. Parmi les accusations, figurait celle d’avoir voulu renverser Erdogan en prétextant un incident militaire avec la Grèce. C’est le plan « Balyoz » (ou « marteau de forge » ). Ce scénario prévoyait d’abattre un avion de combat turc de type F-16 en accusant la Grèce de l’incident, éventuellement suivi d’une intervention ponctuelle en Thrace grecque, pour proclamer la loi martiale et prendre le pouvoir. Les militaires turcs l’ont démenti, indiquant qu’il s’agissait d’une simple simulation. En Grèce, l’existence de ce plan a inquiété les milieux autorisés, en leur révélant que rien, dans les relations gréco-turques, n’était jamais certain… (NDT)

Voir la catégorie : « Relations gréco-turques » « d’Europe Grèce ».

*Nous essaierons à l’avenir, de multiplier ce type de traductions.

Les articles traduits ne reflètent pas nécessairement l’opinion « d’Europe Grèce. »

Merci à « M. ».

Hypocrisie bien-pensante : la Télévision mobilise davantage que la misère généralisée…

Logo-ERTOn apprend par l’AFP que « la Commission européenne a pris acte mercredi de la décision du gouvernement grec de fermer la radiotélévision publique ERT, tout en insistant sur le rôle indispensable joué par le service audiovisuel public dans la vie démocratique. »

C’est Tartuffe!

Car comme nous l’avons déjà rappelé, la restructuration du service public de la télévision était un exigence de la Troïka (Union européenne – BCE – FMI).

On peut toujours contester la méthode. Cela ne change rien au fond.

« Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes, » disait Bossuet.

Quant à la presse internationale, elle se mobilise davantage pour la fermeture de la télévision publique grecque, que pour décrire les exigences brutales de la Troïka et des créanciers de la Grèce, appliquées à l’ensemble de la population depuis plusieurs années.

Il est vrai que le nouveau réseau de télévision promis pour la fin du mois d’août, emploiera deux fois moins de salariés. Il y a là un drame humain pour des centaines de familles.

Mais qu’en est-il de la pauvreté dans laquelle se trouvent plongés de plus en plus d’enfants grecs? Qu’en est-il du chômage de masse, de l’exil économique de dizaines de milliers de jeunes qui, mêlé à la crise des naissances, hypothèque jusqu’à  l’existence physique  de la nation grecque? Qu’en est-il du départ des diplômés les plus brillants, qui pèsera lourd sur le difficile redressement économique de la Grèce?

Tous ces phénomènes ont été aggravés par les politiques d’austérité imposées  à la Grèce, et qui sont contre-productives.

Pour certains, la méthode utilisée pour fermer la télévision grecque  est anti-démocratique, car il s’agit d’une décision gouvernementale  frappant un moyen de communication et d’expression.

Mais les politiques d’austérité ont été définies par des groupes de technocrates, et imposées  au gouvernement grec et au parlement grec par la Troïka, sous peine de se voir couper les vivres.

La méthode était-elle plus démocratique, que la fermeture soudaine et temporaire de la télévision publique?

Face à l’échec des politiques d’austérité, les analystes commencent à démontrer que  de nombreuses erreurs ont été commises, par le FMI  ou par l’union européenne, dans la gestion de la crise grecque. Le FMI les a reconnues. Malgré cela, les politiques d’austérité ne sont pas remises en cause au niveau européen,  (la commission européenne se disant en désaccord avec le FMI).

Cette technocratie qui ne se remet pas en cause, révèle une rigueur tout soviétique. Est-ce plus démocratique que la fermeture de la télévision publique?

Comme si notre addiction à  la télévision nous faisait plus facilement prendre conscience de la réalité de la crise grecque, que tout le reste.

Si l’objectif indirect du gouvernement grec était de montrer à quel point les exigences des créanciers de la Grèce étaient dures et expéditives, c’est réussi…

Reste à savoir si l’on saura en tirer les conséquences : et plutôt que de condamner le gouvernement grec pour avoir fermé des chaînes de télévision, l’aider à faire fléchir la commission européenne.

Fermeture temporaire de la télévision publique grecque : causes et conséquences inattendues (mise à jour)

ert2Conséquence inattendue de la crise.

Selon les journalistes de la chaîne publique ERT, la fermeture soudaine de la télévision publique grecque (les chaînes ERT, NET, ERT WORLD, les chaînes publiques locales), va entraîner la perte de 2656 emplois.

A l’heure où nous écrivons, de nombreux Grecs se rassemblent devant la chaîne, tandis que ERT annonce l’extinction des signaux de la télévision publique, ville par ville. Mais l’émetteur d’Athènes fonctionne toujours (mise à jour du 11/06/2013 à 23h50 heure française: ERT n’émet plus du tout).

Le porte-parole du gouvernement grec a fait la liste des dépenses inutiles et des scandales générés,  selon lui, par la télévision publique. Il a indiqué que  la télévision publique grecque serait remplacée le plus rapidement possible par « un organisme de radio-télévision moderne, public – mais pas étatique, ni sous contrôle partisan ».

Cette dernière remarque est une allusion aux accusations de collusion de la chaîne publique avec certains partis de gauche.

ert1Le gouvernement a indiqué que le nouveau réseau fonctionnerait avec beaucoup moins de salariés, que certains salariés de ERT seraient repris, et que les archives audiovisuelles nationales, détenues par ERT, seraient conservées. Selon le porte-parole du gouvernement, le contribuable économisera ainsi 100 millions d’euros par an.

Selon certains, il s’agissait de satisfaire les exigences de la Troïka en terme de « dégraissage » de la fonction publique…

map2_lerosAnnoncée le 11 juin 2013 pour entrer en vigueur… le 11 juin 2013 à 24h, cette mesure aura aussi d’autres conséquences, d’ordre stratégique.

Pour des raisons tenant à leur éloignement géographique, la plupart des habitants de certaines îles grecques comme Léros, ne peuvent recevoir que les chaînes publiques ou… les chaînes turques.

La Maire de Léros, Michalis Kollias, a déjà protesté en ce sens.

Sans la chaîne publique grecque, beaucoup n’auront donc que les chaînes turques. Un point de plus pour le « soft power » turc.

Pour comprendre ce que cela signifie, nous renvoyons à cet article de Pierre-William Fregonese intitulé : « Le soft power à l’âge du tout médiatique. « 

La chaîne ERT WORLD est également très diffusée à l’étranger, au bénéfice de l’importante diaspora grecque.

En France elle était par exemple la seule chaîne grecque diffusée sur le bouquet de « Free. »

Quelles que soient les accusations, parfois justifiées, qui frappaient ERT, elle jouait donc un véritable rôle à dimension « nationale », pour les Grecs de Grèce, et du monde…

Si la décision est maintenue, espérons que la « nouvelle télévision publique » promise arrivera rapidement…

Mise à jour du 12/06/2013 :

Le gouvernement grec a annoncé que la nouvelle télévision publique grecque émettrait à compter de la fin du mois d’août 2013.

Des journalistes de ERT continuent d’émettre via Internet en streaming : http://www.ustream.tv/channel/greekeventstv

Comme pour appuyer les critiques du gouvernement grec vis à vis des chaînes publiques, une liste des salaires de certains journalistes de ERT circule sur Internet (certains de ces journalistes ont, depuis, quitté le public pour le privé); les salaires mentionnés sur la liste varient entre 60.000 euros et 340.000 euros par an : http://www.sigmalive.com/news/greece/50182

La restructuration de la télévision publique grecque faisait partie des objectifs posés par la « Troïka, » comme le prouve ce document du FMI datant de 2011: www.imf.org/external/np/loi/2011/grc/070411.pdf :

 « Greece: Fourth Review Under the Stand-By Arrangement and Request for
Modification and Waiver of Applicability of Performance Criteria, July 2011 
Closure of non-essential public entities and agencies (0.5 percent of GDP). 
We have already made progress in this area, with some 4,500 entities closed or merged under the “Kallikratis” local government reform. The focus will now shift to the more than 1,500 public entities under line ministries and in the social security sector.
We have already closed 77 of these entities and by mid-August we will pass legislation to close a further 40 small entities, merge 25 other small entities, and to close, merge or consolidate an additional 11 large entities with total current employment of 7,000 (including existing asset management companies; construction companies; and public television stations).“
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Le gouvernement grec a peut-être considéré que cette méthode radicale était un moyen de réformer la télévision publique tout en prenant de court les mouvements syndicaux, très puissants au sein de cette institution.

La méthode choisie est peut-être aussi un moyen de prendre à témoin le reste du monde sur la brutalité des exigences de la Troïka.