Revendications territoriales turques contre l’Union européenne

Pressions du gouvernement turc sur une Grèce affaiblie, ou propagande nationaliste pour un usage interne à la Turquie?

Toujours est-il que le 25 mars 2015, devant le Parlement turc, le ministre turc de la défense a remis en cause la souveraineté grecque sur plusieurs îles et ilots de la mer Egée, faisant référence à un total de seize îles :

« La Grèce n’a que de facto, et temporairement » le contrôle sur ces îles et cela « n’invalide pas le fait que ces îles sont le territoire de la République de Turquie » a-t-il affirmé en réponse à une question parlementaire d’un député du parti Justice et développement (AKP, islamo-conservateurs).

L’information est relayée par la presse turque.

Des revendications territoriales dirigées contre la Grèce, état membre de l’Union européenne, ne sont-elles pas des revendications territoriales contre l’Union européenne, contre la grande patrie commune aux peuples de l’Union européenne?

Dans son édition anglophone, le journal turc Zaman, tout en reconnaissant que le ministre turc « remet en cause le statut international des îles », procède par une inversion accusatoire digne de la Pravda aux heures les plus glorieuses de la propagande soviétique en titrant : « Le ministre de la défense turc rejette les revendications territoriales grecques sur des îles de la mer Egée. »

A l’heure où l’Europe se dit inquiète de la montée en puissance de la Russie et du conflit en Ukraine, les Européens vont-ils enfin prendre au sérieux les préoccupations grecques en matière de défense?

La position géographique de la Grèce l’expose à des menaces. Et aucun gouvernement sérieux ne peut prendre ces menaces à la légère, quand bien même la Turquie et la Grèce sont des membres de l’OTAN (le changement d’attitude de la République de Turquie à l’égard d’Israël depuis l’arrivée au pouvoir des islamo-conservateurs montre que tout est toujours possible et que tout gouvernement doit prendre au sérieux les questions de défense et de sécurité dans cette région).

Peut-être l’Union européenne comprendra-t-elle, comme l’a dit le ministre grec Varoufakis dans une interview à Charlie Hebdo, que pour que la Grèce diminue ses dépenses en matière de défense, il faut que l’Europe comprenne que les frontières de la Grèce sont aussi les frontières de l’Union européenne.

Autre source, le journal turc Milliyet.

L’origine des Turcs de Turquie: l’ombre des conquis grecs et arméniens.

A titre préliminaire, précisons que le texte qui suit n’a pas pour objet de heurter l’identité de quiconque. L’identité d’un peuple n’est pas déterminée par son origine biologique ou la « pureté » de son sang (comme si le « sang mêlé » pouvait être impur…) mais par sa culture et par la perception qu’il en a; par le lien intime qu’il entretient avec elle.

9789601425634On dit que l’histoire est écrite par les vainqueurs.

Elle est en tout cas plus souvent écrite par les conquérants (ou ceux qui s’en réclament), que par les conquis ; par les envahisseurs (ou ceux qui s’en réclament), plutôt que par les populations envahies. On oublie souvent le rôle joué par les peuples conquis dans la culture des empires, mais aussi, dans la composition de leur population…

A ce sujet, l’écrivain turc Ahmet Altan a jeté un pavé dans la mare dans un article intitulé « Ascendance », paru dans les colonnes du journal turc « Taraf », le 28 novembre 2012.

Ahmet Altan ironise sur la version officielle de l’histoire turque, selon laquelle les Turcs de Turquie viendraient des conquérants turcs d’Asie centrale, qui ont envahi ce que nous appelons aujourd’hui la Turquie à la fin du 11ème siècle de notre ère. « Combien de Turcs sont venus en Anatolie avec Alp Arslan ? » s’interroge-t-il. Et d’énumérer les populations qui vivaient alors en Anatolie avant l’arrivée des conquérants turcs: Grecs (« Rumların »*), Arméniens, Kurdes. « Comment se fait-il alors que nos « ancêtres » soient seulement les Turcs et les musulmans? », poursuit-il.

Selon l’écrivain turc, les Turcs devraient donc revoir leur perception de leurs origines, de leur histoire et de leur culture.

Il ne s’agit pas d’une élucubration de romancier.

Selon une étude publiée dans le American Journal of Physical Anthropology, les Turcs d’Anatolie (partie asiatique de la Turquie) n’ont que 13% de gênes originaires des populations venues d’Asie centrale – American Journal of Physical Anthropology, Volume 136, Issue 1, pages 11–18, May 2008, Ceren Caner Berkman, Havva Dinc, Ceran Sekeryapan, Inci Togan.

Selon cette étude, les langues des régions que nous nommons « la Turquie » (qui étaient surtout le grec et l’arménien) furent graduellement remplacées par le turc après l’invasion de l’Anatolie par les groupes nomades turcs originaires d’Asie centrale.

Selon cette analyse les Turcs de Turquie ne viennent donc pas, majoritairement, des conquérants turcs, mais au contraire, des populations chrétiennes soumises, ou du moins, d’une partie importante de ces populations, celle qui s’est ralliée au conquérant turc, et qui a adopté sa langue et sa religion jusqu’à oublier son identité grecque, arménienne et chrétienne. Entre le 11ème siècle et le 16ème siècle, l’Anatolie passera, de majoritairement grécophone, arménophone et chrétienne, à majoritairement turcophone et musulmane.

Jusqu’à présent, le grand public amateur d’histoire avait seulement entendu parler des jeunes esclaves chrétiens de 7 à 20 ans (Grecs, Slaves, Albanais notamment), enlevés à leurs parents, convertis de force à l’islam (et fournissant en hommes soumis et dévoués l’armée des janissaires et l’administration ottomane); ou de certaines populations de grécophones musulmans qui vivaient en Grèce; ou encore de l’interdiction de l’apostasie sous l’empire ottoman, c’est à dire l’interdiction pour un musulman de se convertir au christianisme sous peine de mort, ce qui empêchait que les populations turco-musulmanes issues de l’envahisseur n’intègrent les communautés chrétiennes.

Mais le phénomène massif d’islamisation-turcisation des groupes ethno-linguistiques chrétiens, grecs et arméniens d’Anatolie (Turquie d’Asie) qui s’est déroulé sur cinq siècles, est plus rarement évoqué.

Il faut rappeler qu’en 1071 après Jésus-Christ, les Turcs seldjoukides originaires d’Asie centrale (entre l’Amou-Daria et le Syr-Daria, aux confins de l’Ouzbekistan et du Kazakhstzan, où la langue turque se parle encore comme dans toute l’Asie centrale, jusqu’à l’Ouest de la Chine)  remportent la bataille de Menzikert et amorcent l’installation des Turcs dans la région.

Les vainqueurs ont écrit que les ancêtres des Turcs de Turquie seraient ces guerriers fiers et dominateurs qui via les Turcs seldjoukides, puis l’Empire ottoman, se sont progressivement emparés de l’Empire byzantin. Malgré les bouleversements entraînés par ces invasions (exode de populations, bouleversement linguistique), les choses ne se seraient donc pas tout à fait produites ainsi…

Le phénomène historique de turcisation-islamisation de ces populations est complexe et provoque un regain d’intérêt en Grèce.

De nombreux ouvrages mentionnent cette problématique, le plus souvent sur le plan local (sur les Grecs du Pont notamment). Une étude particulièrement remarquée est celle de Frangoulis Frankos, diplômé d’histoire mais aussi ancien chef d’état-major de l’armée grecque. Paru en 2012, son livre intitulé « Quelle Turquie, quels Turcs ? » (« Ποια Τουρκία, ποιοι Τούρκοι; »), se présente sous la forme d’un ensemble touffu de notes renvoyant à quantité de sources (sa bibliographie constitue un vrai trésor pour tout intéressé).

Nous y reviendrons peut-être en complétant ce billet dans une seconde partie et en abordant la question du processus de conquête, du statut des populations restées chrétiennes (le statut de « zhimmi » en turc, de l’arabe « dhimmi ») et des crypto-chrétiens (les « chrétiens cachés ») dont l’existence fut révélée après les réformes ottomanes de la deuxième partie du 19ème siècle, avant d’être à nouveau étouffée.

En Turquie aussi, cette question suscite l’intérêt de certains intellectuels. A ce propos, le film « Yüregine sor » du réalisateur turc Yusuf Kurçenli aborde justement le thème des turco-musulmans d’origine grecque et chrétienne sous l’angle du crypto-christianisme. Le réalisateur décédé en 2012 était justement originaire du Pont (nord est de la Turquie), une région où le phénomène crypto-chrétien fut le plus largement révélé; la presse turque présentait ce film comme la plus autobiographique de ses oeuvres

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* note sur le terme « Rumların » utilisé en turc dans l’article de  Ahmet Altan pour désigner les Grecs:

Avant l’arrivée des Turcs, la région que nous appelons aujourd’hui la Turquie d’Asie faisait principalement partie de l’Empire romain d’Orient (que nous appelons à tort « l’Empire byzantin » alors que les « Byzantins » ne se sont jamais appelés ainsi).

Y vivaient alors, des populations dont la langue maternelle était surtout le grec, l’arménien, le kurde et même, au sud, l’araméen (pour l’essentiel, les populations grecques vivant en Asie mineure étaient les descendants de populations égéennes et méditerranéennes, à savoir de populations de langue grecque présentes depuis l’antiquité – Ioniens, Doriens, Eoliens – et d’autres populations locales parlant le plus souvent une langue indo-européenne tels les Phrygiens et les Cariens, qui progressivement avaient  totalement fusionné avec l’élément grec, absorbées dès l’antiquité).

En plus de la langue propre à chaque population de l’Empire byzantin et des dialectes grecs locaux parlés par les populations grecques, une forme plus élaborée de grec servait de langue administrative commune, et une forme de grec standardisé servait de langue vernaculaire aux différents  groupes ethno-linguistiques qui conservaient néanmoins leur langue d’origine (dialectes locaux grecs, arméniens, néo-araméen et autres); le christianisme orthodoxe y était majoritaire, et la plupart des populations qui s’y rattachaient y étaient désignées sous le terme de « Romains » y compris les Grecs.  En effet leur nom « d’Hellènes » était alors rejeté par les cercles ecclésiastiques: ceux-ci faisaient une lecture littérale voire « radicale » de certains textes judéo-chrétiens où le terme « Hellène » était assimilé au terme « païen »ce qui en marginalisa l’usage jusqu’au 19ème siècle. Dans ce contexte « Romain » ne signifie pas « latin » mais désigne ceux que nous appelons les « Byzantins. » En France, au Moyen Age, les « Byzantins » étaient désignés sous le terme « Grecs. »

En turc, le terme Grec/Hellène est traduit par « Yunan » tandis que le terme « Romain », dans le contexte de « l’Empire byzantin », est traduit par « Rum » et est encore souvent utilisé.

Cependant les Turcs ont tendance à réserver l’usage du terme « Rum » aux Grecs, et pas aux autres populations héritières de « l’Empire byzantin » (les Arméniens par exemple).

On peut observer que les Grecs, sont le seul peuple à réunir, encore aujourd’hui, toutes les caractéristiques culturelles du monde « byzantin » c’est à dire à la fois la langue, la foi, l’architecture et l’esthétique de l’Empire romain d’Orient, là où d’autres peuples qui ont fait partie de cet empire s’en différencient, qui par l’esthétique propre qu’ils ont développée (cf l’architecture arménienne ou georgienne), qui par la langue (Bulgares, Arméniens, Georgiens, Albanais) qui par la foi (la majorité des Albanais sont musulmans pour leur plus grande part après avoir adopté la foi du conquérant turc).

Attaques planifiées contre la Grèce dans les plans « Balyoz » et « Suga »

enteteLa justice turque s’est prononcée, le 5 août 2013, sur le cas de 275 officiers turcs kémalistes, et non des moindres (généraux, amiraux et autres officiers supérieurs, dont l’ancien chef d’état major turc Ilker Basbug) accusés d’avoir préparé une série de plans visant au renversement du premier ministre islamo-conservateur turc Recep Tayip Erdogan.

Parmi les accusations figurait le fait d’avoir prévu dans ces plans, diverses opérations militaires contre la Grèce, afin d’établir la loi martiale qui aurait permis à l’armée de prendre la main sur le premier ministre turc et à terme, de le renverser.

Pour plus de détails il est intéressant de se reporter à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), le 19 février 2013 dans l’affaire « Cem Aziz Çakmak contre Turquie. »

Cem Aziz Çakmak, amiral de la flotte turque, avait saisi la Cour européenne des droits de l’homme pour se plaindre de sa détention provisoire au cours de l’instruction de l’affaire.

En rappelant l’historique du dossier, la Cour donne des précisions intéressantes sur les accusations officielles formulée par la Parquet turc et dévoile le contenu de ces plans.

Voici quelques extraits de l’arrêt, qui peut être librement consulté sur Internet.

«  « L’affaire Balyoz »

3.  Par un acte d’accusation du 6 juillet 2010, le parquet d’Istanbul ouvrit une enquête pénale contre 196 membres présumés d’une organisation criminelle dénommée Balyoz (« la masse », en français, ou sledgehammer, en anglais), tous des généraux ou des officiers des forces armées. Il leur était reproché de s’être livrés, en 2002 et 2003, à la planification d’un coup d’Etat militaire visant au renversement par la force du gouvernement élu, acte réprimé par l’article 147 de l’ancien code pénal en vigueur à l’époque des faits.

10.  La deuxième étape du plan d’opérations Balyoz aurait principalement consisté à planifier des actions de provocation susceptibles de générer dans l’opinion publique une atmosphère d’insécurité et un sentiment d’hostilité envers le gouvernement, et d’ouvrir ainsi la voie à un coup d’Etat militaire. 11.  Toujours selon le parquet d’Istanbul, le groupe Balyoz avait élaboré, pour atteindre le but énoncé dans la deuxième étape, des plans d’action annexes. L’un des ces plans d’action, Oraj (« orage »), élaboré par İ.F., général d’armée des forces aériennes et commandant des académies militaires, aurait, d’une part, visé à créer des tensions entre les forces aériennes grecques et turques et à provoquer des accrochages entre des avions de guerre au-dessus de la mer Egée. Ces escarmouches devraient se solder par la chute d’un avion militaire turc et conduire à une dégradation de l’image du gouvernement. Le plan Oraj aurait, d’autre part, élaboré un scénario d’attaques, par des groupes islamistes fondamentalistes, de casernes des forces aériennes et du musée de l’armée de l’air, et ce pour aboutir à la prise de contrôle des rues par les forces militaires au prétexte de menaces intégristes. Le plan Oraj aurait également envisagé de soumettre les autorités civiles à des actions d’intimidation, telles que le survol par des avions militaires du Parlement turc si ce dernier refusait de décréter la loi martiale, et d’apporter aux forces terrestres de Balyoz le soutien des avions bombardiers en cas de résistance à l’intervention militaire projetée.

12.  Le parquet d’Istanbul se référait aussi aux documents concernant un autre plan d’action, dénommé Suga (« belle poupée »), qui aurait été élaboré par l’amiral Ö.Ö., commandant de la flotte de guerre, et qui aurait été prévu pour être exécuté principalement par les forces navales lors de la deuxième étape de l’opération Balyoz. Le plan Suga aurait projeté de mettre les forces navales à contribution pour créer des tensions avec la Grèce à propos des îles, des îlots et des rochers de la mer Egée dont l’appartenance était un sujet de conflit entre la Grèce et la Turquie. Il aurait eu pour objectif ultime une mobilisation partielle en Turquie, susceptible de favoriser l’instauration de la loi martiale. Il aurait planifié dans le détail les actions et les opérations à accomplir et les aurait attribuées une par une aux amiraux et aux officiers des forces navales dont les noms figuraient sur une liste dédiée au plan Suga. Les actions prévues auraient visé, entre autres, à provoquer des petits accrochages avec les forces navales grecques dans des zones de conflit de la mer Egée, à sensibiliser l’opinion publique turque sur ces questions de souveraineté et à préparer un ultimatum en la matière destiné au gouvernement grec. »

Ceci pour rappeler que l’environnement géo-politique de la Grèce n’est pas celui des autres pays européens de taille comparable (Portugal, Belgique, Pays-Bas), ce qui crée un certain nombre de spécificités, dans le domaine de la défense notamment.

Voir aussi : https://europegrece.wordpress.com/2012/02/24/etonnant-la-turquie-a-t-elle-des-pretentions-territoriales-en-grece/

Un point de vue grec sur la crise turque.

defence-artComme nous l’avons déjà écrit, de nombreux Grecs ont soutenu les manifestants turcs de la place Taksim.

Pour équilibrer les choses, nous vous proposons un autre point de vue*, celui de l’analyste grec Georgios Philis, qui pointe sur la longue durée, le rapport aux Grecs des « kémalistes » et des « néo-ottomans.»

Il s’agit d’un article paru le 10 juin 2013 sur le site internet de la revue Στρατιωτική Ισορροπία & Γεωπολιτική (« Equilibre militaire et géopolique »), adapté et commenté par « Europe Grèce » avec l’autorisation de l’auteur et des éditions Aegis Publishing.

Sans prétendre à l’exhaustivité, nous avons essayé d’annoter abondamment l’article, dans ou sous le texte, pour le rendre accessible au plus grand nombre.

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« Erdogan ou les kémalistes : où est notre intérêt ? » (1)

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Au pays du lumineux oranger [expression grecque intraduisible, tirée de façon ironique d’un poème d’Angélos Vlachos, désignant la Grèce comme un pays dont la situation a été enjolivée de façon pompeuse, et dont les problèmes sont, de ce fait, traités avec trop de légéreté – NDT], où les concepts et les mots ont perdu leur véritable sens depuis longtemps, certains, après avoir encensé Recep Tayyip Erdogan, ont ravalé leur langue quand le dirigeant « réformateur » s’est soudainement transformé en « Sultan » réprimant tout ce qui était démocratique, et se préparant à conduire le pays vers l’époque d’Abdülhamid II [sultan ottoman, 1842-1918 – NDT].

Par Georgios Κ. Philis, Docteur en relations internationales et géopolitique. (2)

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Depuis cet espace d’information, cela fait trois ans que nos amis lecteurs sont tenus informés de façon complète de l’œuvre « pieuse » accomplie dans le pays voisin par les panislamistes/néo-ottomans d’Ahmet Davutoglu, et des dangers qui pèsent, de leur fait, sur l’Hellénisme. (3)

Naturellement, nous ne devons jamais oublier qu’au fond, les néo-ottomans essaient de prendre les pleins pouvoirs des mains des Jeunes-Turcs/kémalistes qui, depuis 1923, opprimaient les peuples d’Asie Mineure avec leur délire nationaliste de type occidental.

De façon toujours légitime, d’aucuns poseront la question : parmi les deux, au final, est-il de notre intérêt que soient au pouvoir les Jeunes-Turcs/kémalistes ou les néo-ottomans/panislamistes? La réponse est simple, désarmante et malheureusement très inconfortable, spécialement pour notre système politique en voie d’effondrement, qui se complaît toujours, concernant l’élite dirigeante de la Turquie, à présenter un « bon côté » et un « mauvais côté ».

Cette course à la puissance absolue, il n’est pas de notre intérêt que l’un ou l’autre la remporte. « Pourquoi? » sera la question suivante. Parce qu’il s’agit de deux idéologies totalitaires, l’une nationaliste et l’autre impériale, aux yeux desquelles les Grecs n’ont qu’un seul rôle, celui du RAYA [sujet soumis de l’époque ottomane, ici l’auteur vise spécifiquement les zhimmis/dhimmis – NDT] et du SOUMIS. C’est à dire que ce n’est pas un conflit entre démocratie et autoritarisme, mais un conflit entre deux régimes tout aussi totalitaires l’un que l’autre (4).

A ce stade où les « stratèges » de notre pays (les experts des chaînes de télévision) nous parleront des « démocrates », qui essayent de secouer le joug d’Erdogan, il serait bon que le citoyen grec qui les écoute se souvienne de la chose suivante :

Oui, effectivement, il y a des démocrates qui voudraient une démocratie « normale » en Turquie, MAIS soit le « chapeautage » de la « révolution » se fera par les kémalistes qui interviendront par la force soit, au final ce sont les néo-ottomans qui l’emporteront, avec pour résultat que, dans un cas comme dans l’autre, les véritables démocrates du pays voisin se « tairont » et qu’un régime totalitaire sera assis.

Pour consolider son pouvoir ce régime, surtout s’il s’agit des kémalistes, essaiera désespérément de trouver un « danger extérieur » pour confirmer son pouvoir à l’intérieur du pays.

A l’observation selon laquelle « les généraux sont maintenant contrôlés par Erdogan, » la réponse est simple, au-delà du fait qu’il s’agit d’un processus en cours: dans une armée, au-delà des généraux, il y a toujours aussi… les colonels; jusqu’à quel point sommes-nous certains qu’ils sont tous islamistes ?

Enfin, n’oublions pas que pour le cas où les idéologies « totalitaires » ne l’emporteraient pas, et où par miracle, le pays s’orienterait vers une véritable démocratie, cela signifierait automatiquement sa dissolution, puisque les diverses identités ethniques et religieuses demanderaient au mieux, l’autodétermination et/ou l’indépendance, avec pour résultat que la Turquie deviendrait, au mieux, pour elle-même et naturellement pour nous, une sorte de confédération qui éliminerait tout nationalisme totalitaire et / ou toute idéologie impérialiste.

D’autre part, la question de savoir dans quelle mesure il est probable que les islamistes, les «Loups Gris » [nationalistes turcs – NDT], les néo-ottomans et les kémalistes laissent le pouvoir aux… écologistes verts qui reconnaîtraient les Kurdes en tant que groupe ethnique indépendant, et les alévis en tant que religion non-musulmane (5), est plutôt une question rhétorique.

En bref, l’intérêt pour notre pays, au fond, n’est pas lié à la question de savoir si, et jusqu’à quel point, la Turquie va se «démocratiser», mais quel régime totalitaire va survivre au final et si, dans certaines circonstances, il se trouvera quelqu’un, chez notre voisin, pour considérer comme intelligente l’idée de mettre en œuvre une solution type « Balyoz » (6) pour faire face à sa faiblesse intérieure via une extériorisation de la crise.

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Notes complémentaire du traducteur:

(1) Titre original :

« Ερντογάν ή Κεμαλικοί: Ποιος μας συμφέρει να υπερισχύσει; » (mot à mot: « Erdogan ou les kémalistes, il est de notre intérêt que lequel l’emporte? ») (NDT)

(2) Georgios Philis:

Georges K. Philis enseigne à l’American College of Greece (DEREE), au sein du département « Entreprises internationales et Affaires européennes » (International Business & European Affairs Department), où il dispense des cours dans les domaines des politiques européennes et des questions économiques ainsi que des entreprises internationales (direction, gestion de l’innovation, technologie et investissement notamment). Georges Philis est également analyste au sein de « l’Institut d’analyses Sécurité & Défense » (Institute of Security & Defence Analysis), ainsi qu’au sein de l’organisme international de conseil aux entreprises « wikistrat ». Il est le rédacteur en chef et directeur d’Aegis Publishing, qui gère également le site d’information « www.defence point.gr ».

Georges Philis est titulaire d’un doctorat en relations internationales et analyse géopolitique (PhD) de l’Université de Durham au Royaume-Uni. Sa thèse de doctorat était consacrée à l’analyse systémique des relations entre la Grèce et la Turquie, la Russie et l’Occident via l’approche géopolitique, avec un accent particulier mis sur la sécurité énergétique en Méditerranée orientale. Il est titulaire d’un diplôme de troisième cycle en relations internationales (M.Α. In International Relations) de la même université, et d’un diplôme en économie de l’American College of Greece.

En plus des articles publiés, analyses et opinions dans la presse écrite et électronique, grecque et internationale, Georges Philis publiera prochainement sa thèse de doctorat ainsi qu’un autre essai sur la question de l’identité de l’Empire ottoman et de la Turquie moderne. Ses intérêts académiques se concentrent sur la théorie géopolitique, sur l’analyse méthodologique et pratique en matière de sécurité géoéconomique et énergétique, sur l’entrepreneuriat international, sur  l’évolution de l’Eurasie et bien sûr les menées en Russie, en Turquie et en Méditerranée orientale.

(3) Sur le terme « Hellénisme » :

En France, le terme « d’hellénisme » est le plus souvent utilisé pour désigner la culture grecque de l’antiquité; en Grèce, en plus de désigner la « grécité culturelle» l’Hellénisme désigne également de façon globale le monde grec, les Grecs et les communautés grecques de par le monde (Grèce, Chypre, diaspora grecque). (NDT)

(4) « Deux idéologies totalitaires »

Nous avons demandé à Georgios Philis s’il pouvait préciser en quoi le néo-ottomanisme et le kémalisme seraient susceptibles de constituer une forme de totalitarisme aujourd’hui (en dehors de la façon dont ces deux idéologies perçoivent les relations gréco-turques).

Georgios Philis nous a renvoyé à l’un de ses précédents articles, où il explique de façon plus détaillée le choc frontal entre ces deux courants, et la façon dont chacun tente d’imposer sa réponse idéologique à la question des identités, et au choc démographique que va constituer, pour l’avenir, la surnatalité des Kurdes (qui représentent un jeune de moins de 25 ans sur quatre).

Il s’agit d’un article passionnant, beaucoup plus détaillé que celui-ci mais aussi extrêmement long, et que nous n’avons pas le temps de traduire pour l’instant.

Les lecteurs hellénophones le trouveront ici: http://www.newsbomb.gr/opinions/story/313753/to-tromahtiko-dilimma-toy-erntogan-aytokratoria-i-dialysi

(5) Sur l’alévisme :

L’auteur veut dire ici, qu’il est peu probable que les alévis soient reconnus en tant que tels en Turquie.

L’alévisme n’est pas officiellement reconnu en Turquie par le ministère des affaires religieuses, qui ne reconnaît et ne finance que l’islam sunnite.

Un citoyen turc alévi du nom de Sinan Işik, a même saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’une action tendant à l’inscription de la mention « alévi» sur sa carte d’identité turque au lieu de la mention « islam. » Les juridictions turques avaient rejeté ses demandes, au motif, selon elles, « que le terme « alévi », qui désigne un sous-groupe au sein de l’islam, ne pouvait être considéré comme une religion indépendante ou une branche (« mezhep ») de l’islam. » Cette affaire a donné lieu à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, (CEDH, 2 février 2010, Sinan Işik c. Turquie).

La « trinité alévie » comprend Mahomet, et l’alévisme est souvent considéré comme une branche de l’islam chiite (l’une des autres composantes de la trinité alévie étant Ali, cousin de Mahomet, qui occupe une place importante dans le chiisme).

D’autres considèrent l’alévisme comme une mystique ou une « philosophie » antérieure à l’islam, influencée par le zoroastrisme, mais ayant progressivement, pour diverses raisons, intégré Mahomet et Ali en même temps que des influences chrétiennes.

À noter que les alévis ne pratiquent aucun des cinq piliers de l’islam. Pour certains, dire que les alévis sont musulmans serait comme dire que les musulmans sont chrétiens, au motif que l’islam fait référence à Jésus et Marie.

D’autres encore considèrent l’alévisme comme une religion synchrétique panthéiste à part, insistant sur le Hâkk (Dieu, la vérité divine), la branche principale de la trinité alévie.

Dans tous les cas, ce culte mystique et tolérant (ils boivent de l’alcool et leurs femmes ne se voilent pas) qui représenterait, selon les estimations, entre 15% et 25% de la population turque a joué un grand rôle dans la culture ottomane (musique, poésie).

L’alévisme était présent au sein d’une partie des populations musulmanes vivant en Grèce sous l’Empire ottoman. Pour l’anecdote, même certains Jeunes-Turcs (y compris d’ailleurs parmi ceux qui avaient déçu les espoirs de tolérance mis en eux, en se tournant finalement vers le nationalisme turc intégral et le panturquisme, tel Talaat Pacha), étaient béktachis, un ordre religieux souvent considéré comme proche des alévis – aujourd’hui peu de gens font la différence entre les deux.

Dans le contexte d’aujourd’hui, le culte tolérant et synchrétique des alévis est souvent bien vu pas les Grecs, qui discernent de nombreux points communs entre l’alévisme et la mystique chrétienne orthodoxe, et pour qui les alévis représentent un espoir de bonne entente avec les Turcs.

Récemment, Recep Tayyip Erdogan a choisi de donner au troisième pont d’Istanbul le nom du Sultan ottoman Yavuz Sélim, persécuteur des Alévis. (NDT)

 (6) « Plan Balyoz » ( ou « marteau de forge »):

Sous Erdogan, de nombreux officiers supérieurs turcs ont été jugés et emprisonnés. Parmi les accusations, figurait celle d’avoir voulu renverser Erdogan en prétextant un incident militaire avec la Grèce. C’est le plan « Balyoz » (ou « marteau de forge » ). Ce scénario prévoyait d’abattre un avion de combat turc de type F-16 en accusant la Grèce de l’incident, éventuellement suivi d’une intervention ponctuelle en Thrace grecque, pour proclamer la loi martiale et prendre le pouvoir. Les militaires turcs l’ont démenti, indiquant qu’il s’agissait d’une simple simulation. En Grèce, l’existence de ce plan a inquiété les milieux autorisés, en leur révélant que rien, dans les relations gréco-turques, n’était jamais certain… (NDT)

Voir la catégorie : « Relations gréco-turques » « d’Europe Grèce ».

*Nous essaierons à l’avenir, de multiplier ce type de traductions.

Les articles traduits ne reflètent pas nécessairement l’opinion « d’Europe Grèce. »

Merci à « M. ».

Fermeture temporaire de la télévision publique grecque : causes et conséquences inattendues (mise à jour)

ert2Conséquence inattendue de la crise.

Selon les journalistes de la chaîne publique ERT, la fermeture soudaine de la télévision publique grecque (les chaînes ERT, NET, ERT WORLD, les chaînes publiques locales), va entraîner la perte de 2656 emplois.

A l’heure où nous écrivons, de nombreux Grecs se rassemblent devant la chaîne, tandis que ERT annonce l’extinction des signaux de la télévision publique, ville par ville. Mais l’émetteur d’Athènes fonctionne toujours (mise à jour du 11/06/2013 à 23h50 heure française: ERT n’émet plus du tout).

Le porte-parole du gouvernement grec a fait la liste des dépenses inutiles et des scandales générés,  selon lui, par la télévision publique. Il a indiqué que  la télévision publique grecque serait remplacée le plus rapidement possible par « un organisme de radio-télévision moderne, public – mais pas étatique, ni sous contrôle partisan ».

Cette dernière remarque est une allusion aux accusations de collusion de la chaîne publique avec certains partis de gauche.

ert1Le gouvernement a indiqué que le nouveau réseau fonctionnerait avec beaucoup moins de salariés, que certains salariés de ERT seraient repris, et que les archives audiovisuelles nationales, détenues par ERT, seraient conservées. Selon le porte-parole du gouvernement, le contribuable économisera ainsi 100 millions d’euros par an.

Selon certains, il s’agissait de satisfaire les exigences de la Troïka en terme de « dégraissage » de la fonction publique…

map2_lerosAnnoncée le 11 juin 2013 pour entrer en vigueur… le 11 juin 2013 à 24h, cette mesure aura aussi d’autres conséquences, d’ordre stratégique.

Pour des raisons tenant à leur éloignement géographique, la plupart des habitants de certaines îles grecques comme Léros, ne peuvent recevoir que les chaînes publiques ou… les chaînes turques.

La Maire de Léros, Michalis Kollias, a déjà protesté en ce sens.

Sans la chaîne publique grecque, beaucoup n’auront donc que les chaînes turques. Un point de plus pour le « soft power » turc.

Pour comprendre ce que cela signifie, nous renvoyons à cet article de Pierre-William Fregonese intitulé : « Le soft power à l’âge du tout médiatique. « 

La chaîne ERT WORLD est également très diffusée à l’étranger, au bénéfice de l’importante diaspora grecque.

En France elle était par exemple la seule chaîne grecque diffusée sur le bouquet de « Free. »

Quelles que soient les accusations, parfois justifiées, qui frappaient ERT, elle jouait donc un véritable rôle à dimension « nationale », pour les Grecs de Grèce, et du monde…

Si la décision est maintenue, espérons que la « nouvelle télévision publique » promise arrivera rapidement…

Mise à jour du 12/06/2013 :

Le gouvernement grec a annoncé que la nouvelle télévision publique grecque émettrait à compter de la fin du mois d’août 2013.

Des journalistes de ERT continuent d’émettre via Internet en streaming : http://www.ustream.tv/channel/greekeventstv

Comme pour appuyer les critiques du gouvernement grec vis à vis des chaînes publiques, une liste des salaires de certains journalistes de ERT circule sur Internet (certains de ces journalistes ont, depuis, quitté le public pour le privé); les salaires mentionnés sur la liste varient entre 60.000 euros et 340.000 euros par an : http://www.sigmalive.com/news/greece/50182

La restructuration de la télévision publique grecque faisait partie des objectifs posés par la « Troïka, » comme le prouve ce document du FMI datant de 2011: www.imf.org/external/np/loi/2011/grc/070411.pdf :

 « Greece: Fourth Review Under the Stand-By Arrangement and Request for
Modification and Waiver of Applicability of Performance Criteria, July 2011 
Closure of non-essential public entities and agencies (0.5 percent of GDP). 
We have already made progress in this area, with some 4,500 entities closed or merged under the “Kallikratis” local government reform. The focus will now shift to the more than 1,500 public entities under line ministries and in the social security sector.
We have already closed 77 of these entities and by mid-August we will pass legislation to close a further 40 small entities, merge 25 other small entities, and to close, merge or consolidate an additional 11 large entities with total current employment of 7,000 (including existing asset management companies; construction companies; and public television stations).“
.

Le gouvernement grec a peut-être considéré que cette méthode radicale était un moyen de réformer la télévision publique tout en prenant de court les mouvements syndicaux, très puissants au sein de cette institution.

La méthode choisie est peut-être aussi un moyen de prendre à témoin le reste du monde sur la brutalité des exigences de la Troïka.

Mainmise de la Turquie sur le pétrole grec : l’heure de vérité

Ca y est : par une série de décisions en date du 16 mars 2012, le Conseil des ministres turc  a prévu d’autoriser l’exploitation pétrolière dans une partie de la zone économique exclusive turque, mais aussi au sud de Rhodes et de l’île grecque de Kastellorizo.

Une atteinte aux droits souverains de la Grèce, puisque ces régions correspondent à des régions qu’Athènes est en droit d’intégrer dans sa zone économique exclusive (zee) en application du droit de la mer (sur la carte, il s’agit de la zone située à l’ouest de la zone chypriote plus foncée). Une atteinte aussi, au patrimoine du peuple grec, à ses ressources naturelles.

C’est un test grandeur nature pour la Grèce, affaiblie politiquement, militairement (la protection de la zee d’un pays incombe à sa marine nationale), et moralement  par la crise.

Soit le gouvernement grec laissera faire, se contentant de quelques déclarations qui passeront inaperçues, comme vient de le faire son ministre des affaires étrangères, soit il se mobilisera avec ses partenaires européens qui devront choisir entre le marché turc et l’Europe de la défense…

Ci-dessous, l’une des cartes diffusées dans le journal officiel du gouvernement turc, montrant clairement que la Turquie compte notamment « effacer » de la carte toute la zone située au sud de Rhodes et de Kastellorizo, dont elle entend se réserver seule les droits d’exploitations (il s’agit des zones dénommées « AR/TRO/XVIII/G/5034 / (927 623 H.) » et « AR/TRO/XVIII/H/5035/ (1 859 607 H.) »). Ces zones correspondent à la décision 2012/2974 du Conseil des ministres, par laquelle la Turquie donne pouvoir à la société turque TRAO de lancer des recherches pétrolières.

Sources en grec :

http://www.geostrategy.gr/pdf/20120428%20Official%20Turkish%20Maps.pdf

Cette décision turque vient alors qu’Israël, la Grèce et Chypre se rapprochent autour de nombreux projets et de nombreuses pistes de réflexion quant à l’exploitation de leurs zones économiques exclusives, dont la plus ambitieuse est « l’interconnecteur eurasiatique » (eurasia interconnector):

Le gouvernement grec, ces derniers temps, évoque la délimitation de sa zone économique exclusive (qu’il est en droit d’étendre à toute la zone figurant sur la carte de début d’article) mais il n’y a toujours pas procédé.  – voir les billets de la catégorie « relations gréco-turques » sur ce blog, et la convention des nations unies prévoyant la délimitation de ces zones.

Thrace grecque : un monde à l’envers (comparatif entre la minorité grecque d’Istanbul et la minorité musulmane de Thrace – Pomaques, Tziganes, Turcs).

evroscarte1La Thrace grecque est une région frontalière de la Turquie, au nord-est de la Grèce, où des citoyens grecs de confession chrétienne côtoient les citoyens grecs de confession musulmane de la minorité musulmane de Thrace estimée à 150.000 personnes (une minorité sans lien avec l’immigration musulmane récente en Grèce).

C’est par là que passent les immigrés clandestins rêvant d’Europe et c’est un peu, un monde à l’envers :

Discrimination positive

Les Grecs de confession chrétienne vivant en Thrace, s’estiment victimes de discrimination et s’insurgent contre la loi sur le « Nouveau règlement relatif à la construction », votée en mars 2012.

Cette loi impose une taxe à tous ceux qui ont construit sans permis de construire un bien immobilier, mais prévoit une exception… pour les Musulmans de Thrace.

Ceux-ci bénéficient d’une réduction de 80% de cette taxe, dont ils n’auront donc à payer que le cinquième (source : http://news.kathimerini.gr/4dcgi/_w_articles_ell_2_30/03/2012_477389; le texte, article 47 : http://justar-lawblog.blogspot.fr/2012/04/blog-post_11.html ).

A l’inverse, les populations non musulmanes de Thrace, qui sont pourtant soumises aux mêmes difficultés économiques que leurs voisins de pallier ou de quartier musulmans, devront la payer à 100%…

Comment expliquer une loi aussi ubuesque?

C’est que sous la pression turque, et sous prétexte de respecter les droits de l’homme et de ne pas être accusé de nationalisme, l’état grec a démissionné de la Thrace grecque.

Par ailleurs à notre connaissance, les réformes fiscales touchant l’église n’ont pas touché à ce jour les institutions musulmanes de Thrace qui ne paient aucun impôt.

 « Turcs » malgré eux…

Dernier exemple ubuesque : une grand partie des musulmans de Thrace ne sont pas Turcs, mais Tziganes ou encore issus de l’ethnie pomaque; pourtant par peur de froisser la Turquie, l’état grec finance l’enseignement en langue turque à l’attention de tous les jeunes musulmans de Thrace sans distinction; des professeurs grecs de langue grecque sont ainsi contraints d’apprendre le turc pour enseigner à des Pomaques (qui suivent donc une instruction bilingue grec/turc)…

A gauche : la couverture d’un abécédaire en langue pomaque, téléchargeable ici : http://zagalisa.gr/vivlia/POMAKIKOANAGNOSTIKO.zip.

Sur son site internet, le journal « Zagalisa », publié par l’institut des études pomaques, s’insurge contre cette turquisation forcée et met en avant l’attachement des Pomaques à leur citoyenneté grecque et à leur identité traditionnelle pomaque. Son site internet :http://www.zagalisa.gr http://www.zagalisa.gr/content/lithoksooy-blepei-mono-toyrkoys-enas-yperaspistis-ton%E2%80%A6anthropinon-dikaiomaton. Ils trouvent des racines historiques à leur hostilité à cette « turquisation », via la lutte d’un Imam pomaque, que les Turcs appelaient « Giaour Imam » (c’est à dire « l’Imam infidèle »), allié au Tcherkesse Ahmet Anzavour contre les troupes kémalistes en 1920 (http://zagalisa.gr/content/i-epanastasi-ton-pomakon-kata-ton-kemaliston-o-pomakos-iroas-%C2%ABgkiaoyr-imam%C2%BB-16-febroyarioy-1).

En parallèle, d’autres membres de la minorité se considérant, eux, comme Turcs, appliquent en Thrace la politique de turquisation culturelle voulue par la Turquie, voire expriment des revendications autonomistes, illustrées par un drapeau spécifique (à gauche). Ce qui fait craindre aux Grecs que la Thrace soit à la Grèce ce que le Kosovo fut à la Serbie : un morceau de territoire potentiellement perdu.

La loi islamique en Grèce…

Un autre exemple : au nom du strict respect des droits reconnus à la minorité musulmane par le traité de Lausanne signé entre la Grèce et la Turquie, la Grèce reconnaît encore aux trois muftis de Thrace compétence pour traiter les affaires familiales de la minorité musulmane sur la base de la loi islamique, la Shariah. Celle-ci est généralement appliquée avec une certaine souplesse mais a déjà conduit dans le passé à des situation choquantes, comme le mariage d’une enfant de 11 ans, annulé par un tribunal allemand de Dusserldolf en 2005, lorsque la jeune mariée s’est établie en Allemagne (nous avons retrouvé trace de la dépêche AFP de l’époque ici : http://fr.soc.politique.narkive.com/nOYQjjvS/mariee-a-11-ans-a-son-violeur-ca-se-passe-en-grece). Le traité de Lausanne donnait à cette minorité le droit d’être régie par le droit applicable à l’époque ottomane en matière familiale… Et l’état grec n’a pas encore osé remettre en cause ce principe alors même qu’en Turquie, en 1926, la loi islamique fut abolie, sans pour autant que le traité de Lausanne ne soit « actualisé ».

L’abolition de cette pratique a été annoncée récemment en 2011 (http://www.xanthipress.gr/eidiseis/politiki/8962-saria-katargisi-ellines-mousoulmanoi.html) mais il semble que cette annonce n’ait pas encore été suivie d’effets; certains membres de la communauté musulmane y sont favorables tandis que d’autres s’y opposent au motif que cette loi constituerait désormais un droit coutumier (http://www.komotinipress.gr/eidiseis/politiki/4487-ilhan-ahmet-vs-sokratis-xinidis-.html; http://www.ecogreens-gr.org/cms/index.php?option=com_content&view=article&id=2947:2012-02-02-13-14-01&catid=11:rights&Itemid=27). Cette véritable « anomalie » devrait cependant prochainement disparaître selon toute vraisemblance.

A noter : la minorité musulmane de Thrace grecque est reconnue dans le traité de Lausanne, signé entre la Grèce et la Turquie en 1923.

Elle était le « pendant » en Grèce, de la minorité grecque d’Istanbul.

Une petite comparaison entre les deux minorités permet de remettre un certain nombre d’idées en place.

La minorité musulmane de Thrace grecque a subi le statut de « zone militaire » de la Thrace pendant la guerre froide: la Thrace grecque était en première ligne, située entre la Bulgarie alors communiste et membre du pacte de Varsovie, et la Turquie, également membre de l’OTAN mais dont les relations avec la Grèce étaient tendues dès les années 50 en raison de la question chypriote.

Mais la minorité musulmane de Thrace grecque s’est maintenue.

Elle n’a jamais eu à subir ce qu’a du subir la minorité grecque d’Istanbul:

pogrom de 1955; dans la nuit du 6 septembre 1955 une foule organisée composée d’hommes venus d’Anatolie et de turcs stambouliotes se dirigera vers les habitations et les commerces grecs marqués à la peinture, les dévastant, tuant plus de 20 personnes, et violant des centaines de personnes; le premier ministre turc de l’époque, Menderes, sera plus tard pendu pour autre chose, après un coup d’état militaire de 1960 pour violation de la constitution; le pogrom sera évoqué lors de son procès ce qui permet aux historiens d’avoir certaines informations précieuses sur son organisation; il sera réhabilité sous le président Ozal le 17 septembre 1990 qui le fera enterrer dans un mausolée; le pogrom peut être considéré comme l’oeuvre de ce que les Turcs nomment « l’état profond », impliquant différents cercles issus des forces de l’ordre et des milieux nationalistes;

– expulsions massives de 1964 et 1967.

– et avant tout cela, le Varlik Vergisi Kannunu (loi sur l’impôt sur la fortune ) de 1942 (divisant la population en quatre catégories fiscales – M pour Musulman, G pour Gayrimüslim ou Non-Musulman, D pour Dönme c’est à dire des Musulmans d’origine juive et E pour Ecnebi, ou Etranger – et instituant une taxe confiscatoire payable en 15 jours, ce décret frappera principalement les communautés grecque, juive, arménienne et dömne d’Istanbul – 1229 personnes issues de ces communautés, incapables de payer, seront envoyées dans des camps de travaux forcés à Askale et Erzerum en Anatolie; un des principaux effets de ce décret, qui frappera à 87% les populations non musulmanes, sera la vente forcée, la confiscation, ou la vente à vil prix, des immeubles des plus beaux quartiers d’Istanbul au profit de la bourgeoisie turque musulmane ou d’organismes d’état;

Ces événements feront passer la population grecque d’Istanbul, de 155.000 personnes en 1955  à seulement 2.000 personnes aujourd’hui (à gauche : photographies du pogrom d’Istanbul, l’avenue Istiklal ancienne « Grande rue de Péra », bien connue des touristes et qui comptait de nombreux Grecs, entièrement pillée).

A gauche : autre photographie du pogrom, montrant une dame de la bourgeoisie turque d’Istanbul se joignant à la foule pour piller les biens de ses voisins grecs…

A gauche :  scènes du film turc « Güz Sancisi », qui a donné pour la première fois au public turc un aperçu – très édulcoré, mais qui  a l’immense mérite d’exister – du pogrom d’Istanbul.

Bref, les musulmans de Thrace n’échangeraient pour rien au monde leur histoire récente avec celle des Grecs d’Istanbul.

Echange de tirs à la frontière gréco-turque

Un aperçu de la question migratoire en Grèce et du climat qui règne à la frontières gréco-turque…

Ce vendredi 2 mars 2012, trois Turcs qui traversaient la rivière-frontière Evros, ont ouvert le feu à l’arme automatique contre une patrouille mixte composée de policiers grecs de la « Répression de l’immigration illégale », de gardes-fontières grecs, d’agents européens membres de FRONTEX (Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne) et contre un groupe de soldats de l’armée grecque qui patrouillait également dans le secteur.

Les policiers et soldats grecs ont répliqué, blessant deux Turcs qui ont été conduits à l’hôpital.

Selon la presse grecque, la patrouille grecque a repéré trois Turcs armés qui conduisaient des immigrés clandestins en barque depuis la rive turque:

« Dès que les barques ont été illuminées et qu’il leur a été demandé de repartir en Turquie, les Turcs ont commencé à tirer à l’arme automatique. La patrouille grecque a répondu par une avalanche de tirs vers la direction d’où provenaient les tirs.
 
Un Turc a été blessé et immédiatement arrêté. »

Un deuxième homme, un Pakistanais, a également été blessé.
Les immigrés clandestins qui tentaient ainsi de passer étaient au nombre de 25: 19 en provenance du Bengladesh et 6 du Pakistan.

evroscarte1Ce n’est pas la première fois : des faits similaires s’étaient produits le 15 janvier 2012, où l’armée grecque avait blessé au pied un passeur turc qui avait ouvert le feu sur une patrouille mixte de composée de garde-frontières et de soldats grecs.

Les difficultés économiques n’ont pas mis fin aux autres maux de la Grèce parmi lesquels l’immigration clandestine de masse.

En 2010 90% des immigrés clandestins entrés dans l’union européenne étaient passés par la Grèce).

Si nombre d’immigrés légaux quittent la Grèce en raison de la crise, l’afflux massif de clandestins qui rêvent d’Europe et passent par la porte grecque se poursuit (selon les statistiques de 2010 90% des immigrés clandestins entrés dans l’union européenne étaient passés par la Grèce).

Le développement des réseaux de passeurs en Turquie est tel que l’on trouve en Grèce des Algériens ou des Libyens, venus via la Turquie, alors que leur destination traditionnelle était respectivement la France ou l’Italie.

En raison des accords de Dublin II, la Grèce doit normalement empêcher les clandestins arrivés sur son sol de repartir vers un autre pays de l’Union européenne, ce qui rend sa situation impossible puisque, comme indiqué plus haut, la grande majorité des migrants passe désormais par la Grèce via la Turquie où les réseaux de passeurs agissent sans se dissimuler.

La Cour de justice des communautés européennes, face à ce constat, a assoupli les règles d’examen des demandes d’asile en indiquant qu’elles devaient désormais s’opérer dans l’état où est trouvé le réfugié politique, car la Grèce ne pouvait gérer un tel flux ce qui avait des conséquences sur les conditions d’acceuil.

La Grèce construit un mur sur une partie de la frontière gréco-turque pour tenter de canaliser le flux et ainsi, mieux le contrôler. Ce qui choque les bonnes âmes totalement coupées des réalités…

En plus des problèmes habituels liés à l’afflux massif d’immigrés clandestins, la Grèce ne peut de toute façon plus se permettre de s’en occuper.

Etonnant : la Turquie a-t-elle des prétentions territoriales en Grèce?

On savait que la Turquie contestait la souveraineté de la Grèce sur certaines îles grecques.

Mais on n’en parlait pas.

Pour ceux qui auraient un doute sur l’actualité de ces revendications, le ministre des affaires étrangères turc Ahmet Davutoglu les confirme à nouveau en ce mois de février 2012, dans la réponse qu’il adresse à la question parlementaire d’un député turc, à propos de l’île de Farmakonisi. Une île habitée du Dodécanèse (elle compte environ 70 habitants, tous grecs) que les Turcs nomment « Eşek ».

Selon la réponse du ministre turc : « il existe une série de problèmes entre notre pays et la Grèce concernant l’appartenance de certaines îles et rochers de la mer Egée. Nous essayons de résoudre tous ces problèmes par le dialogue. Notre pays souhaite trouver des solutions permanentes en faisant attention à nos droits fondamentaux et à nos intérêts. » (traduction libre via les sources turques : http://www.haberturk.com/polemik/haber/717837-esek-adasi-bizim-mi ).

Du langage diplomatique mais qui remet clairement en cause la souveraineté grecque « sur certaines îles » (et donc pas seulement sur l’île de Farmakonisi – photo de gauche). Le député turc Akçay quant à lui parle d’une « occupation par la Grèce » de cette île (!) qui selon lui aurait toujours appartenu à l’empire ottoman et à la Turquie et « d’une situation que nous ne saurions accepter ».

De son côté la Grèce a toujours considéré que son territoire national n’était pas quelque chose de négociable.

Un incident impossible?

A ceux qui croient qu’un incident est impossible, il faut rappeler qu’en 1996, des commandos turcs avaient été envoyés aux abords de l’île grecque d’Imia (une île inhabitée que les Turcs appellent Kardak), après qu’une équipe de journalistes turcs aient ôté le drapeau grec qui y flottait pour le remplacer par un drapeau turc (le 25 janvier 1996). Les deux pays avaient envoyé sur place des forces navales et aériennes, tandis qu’un hélicoptère grec se crashait aux abords de l’île dans des circonstances mal élucidées, causant la mort de trois militaires grecs. La Turquie a élaboré la théorie dite « des zones grises » concernant les îles grecques dont elle conteste la souveraineté.

Ces îles appartiennent au complexe du Dodécanèse, un ensemble d’îles qui ont été cédées par l’Italie à la Grèce après la 2e guerre mondiale au cours de laquelle l’Italie avait occupé la Grèce (traité de Paris, 1947). Ces îles étaient majoritairement peuplées de Grecs.

Récemment des chasseurs-bombardiers F-16 de l’armée de l’air turque ont survolé l’île d’Agathonisi à 1000m au dessus des habitations. Mais elle se livre régulièrement à ce type de manoeuvres au dessus des îles grecques, pour contester également la souveraineté grecque ou le contrôle grec d’une partie de l’espace aérien.

La Turquie encourage également un mouvement autonomiste de la minorité musulmane de Thrace grecque. A l’heure où l’état grec aura de plus en plus de mal à parler d’une voix forte, certains Grecs craignent d’y voir un nouveau Kosovo.

Enfin, une déclaration solennelle de la Grande Assemblée Nationale turque de 1996 dite « loi du casus belli », prévoit également que la Turquie considérera comme un acte de guerre la délimitation de l’espace maritime grec à 12 miles nautiques (en effet selon le Droit maritime international, un pays peut étendre son espace maritime à 12 miles nautiques et à la ligne médiane lorsque les deux cotes sont trop proches – un lien intéressant sur la question après la crise d’Imia : http://www.revues-plurielles.org/_uploads/pdf/9_23_11.pdf). La Turquie demande aussi que ces îles soient démilitarisées, ce à quoi la Grèce se refuse en raison, entre autres, des revendications turques et parce qu’elle estime que la question de la démilitarisation ne concernait que des arrangements entre elle et l’Italie sans rapport avec la Turquie. La Turquie a également créé une unité pour agir en mer Egée, « l’armée d’Egée »…

L’avenir

Il est bien connu que la Turquie est confrontée à un problème d’exiguïté de son territoire qui n’est que de 783.562 km2 (2,5 fois la France). La question est de savoir si les voisins de la Grèce vont profiter de la crise pour arracher quelques morceaux au faible état grec, par pressions et argumentaire pseudo-juridique interposés.

Pas sûr : désormais la Grèce doit tellement aux pays de la zone euro (qui eux-mêmes ont emprunté aux Banques pour cela), que paradoxalement la crise pourrait donc « protéger » davantage la Grèce contre ce type de provocations. Le but de ces dernières semble être d’effrayer les politiciens grecs pour obtenir des concessions sur la question de l’exploitation de la zone économique exclusive grecque en mer Egée et en mer méditerranée.

En outre les militaires turcs accusés par le gouvernement Erdogan d’avoir voulu proclamer la loi martiale via une provocation militaire contre la Grèce en 2003 (plan Balyoz) sont en détention provisoire à Istanbul où ils attendent leur jugement.

Mais l’heure de vérité viendra quand la Grèce posera officiellement la question de la zone économique exclusive (ZEE) entre elle et la Turquie…

En effet pour la Turquie, la ZEE grecque ne doit pas tenir compte de certaines îles grecques comme Ro ou Kastellorizo, ce qui aurait pour effet de réduire de moitié la ZEE dans la zone comprise entre la Crète et Chypre (image de gauche, sur les zones économiques exclusives selon le journal chypriote Simerini : en haut avec les ZEE entourées de blanc, la carte prenant en compte Kastellorizo pour délimiter la ZEE grecque; en bas, avec les trais rouges, ce que souhaite la Turquie)

Mise à jour du 12/03/2012:

Dans une interview au magazine américain « Proceedings » dépendant du US Naval institute, l’amiral turc Murat Bilgel a fait savoir que la Turquie souhaitait se doter  d’un porte-avions et d’avions à décollage court ou vertical (source turque; source grecque; consultation du magazine, pages 28 et 29 du magazine)

Grèce : l’espoir de l’or noir.

Les Grecs placent une partie de leurs espoirs pour émerger de leur dette, dans la découverte de pétrole au sud de la Crète, en mer Ionienne, et dans le nord de la mer Egée.

Le professeur Foskolos a qualifié de « crime » le fait de ne pas avoir poursuivi les recherches de pétrole en 1997.

Les nouvelles technologies permettent d’exploiter le pétrole à des profondeurs jusqu’alors inaccessibles pour ce type d’activités.

Selon lui il y aurait 22 milliards de barils de pétrole au sud de la Crète; il estime les perspectives de développement en la matière à 2016-2017, et déclare que le sud de la Crète est aussi riche que l’Iran.

Exploiter cette ressource signifie aussi qu’il faudra, à terme, relever les défis diplomatiques et miliaires tels que la fixation de la zone économique exclusive avec la Libye et l’Egypte (ce qui pose problème car la Turquie refuse à la Grèce le droit de déterminer sa zone par rapport à certaiens îles grecques situées à l’est de Rhodes, et revendique ainsi une « frontière » entre sa zone et celle de l’Egypte au détriment de la zone grecque). Les défis écologiques, aussi.

Le ministre de l’environnement Yannis Maniatis a également déclaré qu’il y avait du pétrole en Grèce et que les premiers résultats des recherches pouvaient faire espérer que les Grecs ne seraient pas déçus.

Maniatis a fait référence à l’intérêt israélien pour coopérer avec la Grèce dans le domaine énergétique (la Grèce et Israël tentent d’accroître très sensiblement leur coopération ces derniers mois, dans tous les domaines et les Israéliens, comme les Chypriotes, ont découvert d’importantes réserves de gaz dans leur zone économique exclusive). Une coopération gréco-israélienne en la matière pourrait bouleverser favorablement les équilibres stratégiques dans la région.

La question et de savoir si ces ressources sont exploitables à grande échelle, et si les créanciers de la Grèce s’en empareront à vil prix, ou si le peuple grec pourra les exploiter réellement comme l’a fait, par exemple, le peuple norvégien avec son fonds de développement pour les générations futures.

La Grèce étant habituellement considérée comme plutôt pauvre en ressources naturelles, ces déclarations ne peuvent en empêcher certains d’afficher leur scepticisme.

Les amis de la Grèce croisent les doigts pour que tout cela soit vrai… Et que la Grèce sorte de la dépendance au tourisme, pilier de  son économie qui la rend trop fragile face aux crises.

Sources

http://www.inews.gr/96/i-kriti-echei-oso-petrelaio-kai-to-iran.htm

http://www.iefimerida.gr/news/29286/%CE%BC%CE%B1%CE%BD%CE%B9%CE%AC%CF%84%CE%B7%CF%82-%C2%AB%CF%83%CF%84%CE%B7%CE%BD-%CE%B5%CE%BB%CE%BB%CE%AC%CE%B4%CE%B1-%CF%85%CF%80%CE%AC%CF%81%CF%87%CE%B5%CE%B9-%CF%80%CE%B5%CF%84%CF%81%CE%AD%CE%BB%CE%B1%CE%B9%CE%BF%C2%BB

« Allumer le feu! » : paranoïa grecque ou réalité?

Voici quelques brèves sur les relations gréco-turques.

Vous nous excuserez de compiler 4 billets en un mais ce n’est pas le thème principal du blog. En même temps vu que la presse française n’en parle pas… Il faut bien réparer cette omission.



Question sur la « parano » grecque n°1 : quel rapport entre les incendies de forêt en Grèce et la Turquie?

Incroyables révélations du journal turc Birgün : les services turcs seraient à l’origine de nombreux incendies de forêts commis en Grèce pendant les années 90 (http://www.birgun.net/politics_index.php?news_code=1324643597&year=2011&month=12&day=23).

Tout commence par une interview au journaliste Enver Aysever publiée le 23 décembre 2011. Le journaliste s’intéresse aux secrets d’Etat; lors d’une conversation téléphonique, l’ancien premier ministre turc Mesut Yilmaz fait alors référence à un rapport sur les opérations menées avec les fonds secrets de l’Etat turc; il évoque des incendies de forêt commis par les services secrets turcs en Grèce « à titre de représailles » dans les années 90, du temps de la première ministre turque Tansu Ciller. Il fait aussi allusion à l’organisation d’un coup d’état en Azerbaïdjan par la Turquie.

Stupeur en Grèce : le ministre des affaires étrangères grec demande des explications au gouvernement turc au sujet des incendies (étant précisé que les plus grands incendies criminels qui aient jamais ravagé la Grèce n’ont jamais été élucidés).

Réaction immédiate et très embarrassée de Mesut Yilmaz qui essaie d’expliquer qu’on l’a mal compris; en substance : « on a mal compris mes propos », les Grecs auraient mal interprété et réagi trop vite, il disait autre chose. (http://siyaset.milliyet.com.tr/mesut-yilmaz-yanlis-anlasildi/siyaset/siyasetdetay/27.12.2011/1480946/default.htm)

Réaction immédiate,du journal Birgün dans un article du 28 décembre 2011, qui persiste et signe dans une réponse à Mesut Yilmaz; en substance : « on avait très bien compris, on n’a rien inventé, c’est bien ce qu’a dit Mesut Yilmaz. »

Puis, avalanche de révélations de la presse turque :

・ Le journaliste turc Can Dündar du journal Milliyet dans un article du 29 décembre 2011, affirme qu’une opération a bien été menée au sein d’un camp militaire de l’armée grecque à Lamia, ainsi que des opérations d’incendies de forêts à Rhodes et dans d’autres régions touristiques, ainsi que des opérations en Crète, à titre de représailles à la politique du gouvernement grec vis à vis des rebelles Kurdes et à l’accueil de certains membres de la rébellion kurde par la Grèce (http://gundem.milliyet.com.tr/ormanlari-kim-yakti-/gundem/gundemyazardetay/29.12.2011/1481661/default.htm) .
・ Puis le journal Vatan embraye (en fait dès le 27 décembre 2011) en faisant référence à un rapport concernant un scandale connu en Turquie sous le nom de « Susurluk » ; selon le journal, 12 pages du rapport sont consacrées aux incendies en Grèce par les services turcs. (http://haber.gazetevatan.com/Haber/420360/1/Gundem)

Bref les plus grands journaux turcs confirment l’information.

La confrontation entre kémalistes et islamistes (ou entre les kémalistes entre eux) a le mérite de libérer la parole et de faire ressortir la vérité sur un certain nombre d’égarements que les seconds attribuent aux premiers. Comme le dit Can Dündar, les deux peuples ont le droit de savoir.

La presse d’Europe occidentale accuse souvent les Grecs de paranoïa vis à vis de la Turquie, surtout lorsqu’on aborde les questions de sécurité.

A l’inverse quand on suit l’actualité gréco-turque sur la question, on découvre un fort niveau de tensions et le fait que les gouvernements grecs veulent éviter toute publicité autour de ces événements, préférant ne pas les relayer.

Concernant les « incendies mystères », il y avait bien eu par le passé des rumeurs, en Grèce, sur la participation de Turcs aux plus grandes incendies de forêt qu’ait connus le pays, mais rien d’officiel.

Certains hommes politiques avaient parlé d’incendies causés par la Turquie, mais la presse grecque les avait accusés de fantasmer à des fins électorales, les avait traités de paranoïaques et d’extrémistes hostiles à l’amitié gréco-turque et avait tourné la page.

Malheureusement, les plus « paranoïaques » disaient vrai…



Question sur la « parano » grecque n°2 : la « paranoïa » grecque va-t-elle se calmer?

A terme, il est peu probable que les inquiétudes grecques se calment malgré le renouvellement de la classe politique turque.

Ainsi selon le media turc « Haber turk », le premier ministre turc Erdogan a annoncé un programme de missiles balistiques d’une portée de 2500 kilomètres, capables d’atteindre la Chine occidentale, le Soudan, le nord de la Russie ou l’Europe occidentale (http://www.haberturk.com/gundem/haber/701120-turk-fuzesi-hedef-menzil-2500-km).

La Turquie confirme ses ambitions de devenir une super-puissance. La Grèce doit-elle craindre sa finlandisation?


Question sur la « parano » grecque n°3 : la Turquie, un exemple pour la Grèce?

Question qui heurtera tout Grec bien sûr.

Excusez-moi donc, et pourtant…

Après tout la Turquie pourrait donner l’exemple à la Grèce : l’exemple d’une politique patriotique visant le long terme, dont l’ambition est de construire un état fort, une puissance industrielle forte sous l’impulsion de l’état tout en développant le secteur privé, de doter les citoyens d’une idéologie apte à les souder (en Turquie, au choix, le kémalisme et l’islamisme modéré), d’une éducation nationale visant à développer la fierté d’être turc et à promouvoir la culture turque (à l’heure où la Grèce, avec 20 ans de retard, croit que l’avenir est de copier le modèle « multikulti » allemand dont Angela Merkel a pourtant dit qu’il avait échoué).

Ca c’était la minute réac’ de votre serviteur. Quoique… Chaque pays doit faire ça à sa sauce mais après tout.


Question sur la « parano » grecque n°4 : et l’entrée de la Turquie dans l’UE?

Saisissons l’occasion pour aborder la question de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.

Le parlement turc vient de voter une loi interdisant l’achat de propriétés par des étrangers dans les zones où le quota de bien achetés par les étrangers dépasse déjà 10%. Voir cet article du journal ABC à ce sujet (http://www.abc.es/20111215/internacional/abci-turquia-terrenos-extranjeros-201112151118.html, je sais c’est en espagnol que voulez-vous ce blog est un peu cosmopolite).

Quel rapport avec notre sujet?

On l’ignore en France, mais les leaders des deux plus grands partis politiques grecs (Nea Dimokratia et Pasok) sont totalement favorables sur le principe à l’entrée de la Turquie dans l’UE, « une fois les conditions remplies ». De quoi dérouter l’européen moyen à qui la presse a présenté les politiques grecs comme des nationalistes irresponsables. Loin de tout nationalisme, mais peut-être pas loin de toute irresponsabilité, certains dirigeants grecs s’imaginent que l’appartenance de la Turquie à l’union européenne leur évitera d’avoir à défendre la Grèce face aux revendications turques (sur les eaux territoriales et l’espace aérien, et la contestation de la souveraineté grecque sur certaines îles notamment). Chacun jugera.

A l’inverse selon les sondages, la majorité de la population grecque est opposée à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.

Or parmi les nombreux arguments de ceux qui s’opposent à la candidature turque, il en est un qui nous intéresse particulièrement ici : certains craignent que l’entrée de la Turquie dans l’union européenne ne se solde par l’installation définitive de Turcs dans les îles et les régions frontalières. Ils craignent que cela ne fasse basculer l’équilibre démographique de ces régions. Celles-ci seraient ainsi, de fait « turcisées ». « Tout ça pour ça » pourrait-on dire, en contemplant la lutte de plusieurs générations de Grecs pour créer un état grec sur les ruines de l’impérialisme ottoman.

Et là vous me direz : la peur d’être envahi, voilà bien un truc de parano, hein? On l’a trouvée la paranoïa grecque…

Sauf que… la meilleure preuve que ces craintes ne sont peut-être pas infondées provient de la Turquie elle-même… L’exemple turc!

Le parlement turc, donc, vient de voter une loi interdisant l’achat de propriétés par des étrangers dans les zones où le quota de bien achetés par les étrangers dépasse déjà 10%
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Si la Turquie a de telles craintes, malgré sa démographie solide (et qui le restera vu l’importance de sa population même si le taux de fécondité diminue), peut-on se moquer de celles des Grecs? Ils ont peut-être raison. A terme, à 20, 50 ou 60 ans, qui pourrait garantir le contraire?

Rappelons aussi que Malte, avant d’entrer dans l’Union européenne, a obtenu l’assurance que les citoyens européens ne pourraient acheter la terre maltaise, rare, au-delà d’un certain quota. Pour que Malte reste aux Maltais. Au-delà des aspects juridiques il y a les crises, l’histoire. Sur la longue durée, que vaut une garantie de papier?

Lorsqu’on voit comment Allemands et Italiens se sont implantés dans certaines îles grecques (les Allemands dans certains villages de Corfou par exemple), une telle crainte n’a rien d’une chimère d’autant que la Turquie est en plein développement et beaucoup plus proche géographiquement des îles grecques ou de la Thrace que l’Allemagne ne l’est de Corfou… Quand on sait que la démographie a joué un plus grand rôle que les armes dans la conquête de l’Anatolie par les Turcs, l’argument démographique ne manque pas de sérieux sur la longue durée. D’autant plus que la démographie grecque a toujours été faible, elle. Comme la Russie craint la démographie chinoise, en Extrême Orient… L’histoire du monde n’est pas pavée que de lendemains qui chantent et ces préoccupations sont parfaitement légitimes sur la longue durée, la longue histoire.

Rappelons que pour les Grecs les plus rétifs à l’intégration turque, la Turquie n’est pas un pays comme les autres. La Turquie est le pays qui se dit l’héritier de l’ancienne puissance coloniale, l’Empire ottoman.

Il est curieux que l’on soit prompt à vouloir éviter tout « néo-colonialisme » vis à vis des anciennes colonies françaises et que l’on ne prête pas attention au réflèxe anti-colonial du peuple grec vis à vis de la Turquie. Après tout les Grecs ne sont peut-être pas si « paranos » que cela.